Depuis la légalisation du cannabis récréatif destiné aux adultes, le plan d’affaires de dizaines d’entreprises sera mis à l’épreuve. Dès les premières semaines suivant la légalisation, des pénuries et des retards d’expédition ont souligné les lacunes du marché actuel. Dans les mois à venir, la réussite des entreprises de cannabis dépendra de la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement fonctionnelle, capable de résoudre tous les problèmes éprouvés jusqu’à présent.
Pour les entreprises d’envergure nationale, la géographie du Canada, ses grands espaces et les distances qui séparent ses gros centres urbains sont tout un casse-tête de logistique et de chaîne d’approvisionnement. Mais c’est surtout pour les petites entreprises en démarrage que la complexité de ce tout nouveau marché – celui du cannabis aux fins de consommation à l’âge adulte – rendra problématique la coordination de la production, de l’entreposage, du transport et de la vente au détail, notamment à cause de la diversité des réglementations fédérale et provinciales.
Nous prévoyons que la gestion efficace de la chaîne d’approvisionnement sera un facteur clé de différenciation dans ce nouveau marché.
Les entreprises dont la chaîne d’approvisionnement est fin prête pourront dominer le marché, tandis que les autres s’enliseront dans des coûts excessifs et des engagements non remplis et verront s’effriter leur part de marché.
La chaîne d’approvisionnement du nouveau secteur du cannabis est relativement simple. En aval, les producteurs autorisés possèdent une expérience limitée, ayant jusqu’ici produit uniquement du cannabis médicinal, qui représente seulement 10 % de leur volume cible maximal. Dans le secteur intermédiaire, les distributeurs sont encore assez novices, sans compter qu’ils devront s’adapter à un nouveau modèle économique et à un nouveau contexte réglementaire. En aval, enfin, les détaillants ont eu l’occasion d’acquérir de l’expérience grâce à la vente de produits médicinaux, mais leur apport se limite à la fin de la chaîne d’approvisionnement.
En matière de chaîne d’approvisionnement efficace, quatre défis majeurs se posent à l’industrie :
Nous nous attendons à des hésitations considérables dans le processus d’établissement d’une réglementation détaillée, qui se répercuteront non seulement sur les autorités, mais aussi sur les investisseurs, les producteurs, les détaillants et les consommateurs. Les différences provinciales sur le plan législatif compliquent la circulation des produits d’une province à l’autre, un peu comme c’est le cas pour les secteurs du tabac et des spiritueux. Quant aux ventes internationales, il est probable qu’elles se heurteront à des obstacles dans les pays où le cannabis récréatif est toujours illégal.
Les producteurs, les distributeurs et les détaillants connaissent une période de tâtonnements pendant laquelle ils testent le marché; il faudra un certain temps avant que le secteur ne se normalise et puisse accumuler des données significatives sur la consommation.
Les prévisions financières, très variées, annoncent que le marché canadien pourrait se situer entre 4 G$ et 9 G$ par an.
Dans ce contexte, il sera essentiel pour tous les acteurs de l’industrie d’investir très tôt dans leurs capacités de planification et de prévision de la demande. En outre, la communication et la collaboration entre tous les agents de la chaîne de valeur seront particulièrement importantes pour la réduction des risques et la gestion des attentes.
Toutes les entreprises du secteur doivent relever le défi technologique de l’intégration des systèmes du début à la fin, c’est-à-dire des semis jusqu’à la vente. Les entreprises ont besoin d’avoir une image claire de la conformité des processus, de la protection des stocks, de leur contrôle et de la collecte de données. Le partage de l’information d’une plateforme à l’autre à l’échelle de toute l’entreprise est une nécessité et doit répondre à des normes encore plus strictes que les industries des spiritueux et du tabac.
Sans une bonne intégration des systèmes, les entreprises courront le risque que leur chaîne de valeur manque de conformité, ce qui alourdirait le fardeau pour les parties prenantes, et le public exigerait que les organismes de réglementation resserrent les règles et les fassent respecter.
Les entreprises ont besoin de temps pour acquérir de l’expérience dans la manutention des produits du cannabis. Ce processus ne se fera pas sans tâtonnements de la part des producteurs en amont, des distributeurs intermédiaires et des détaillants en aval. Les ventes directes des entreprises aux consommateurs viendront compliquer encore la gamme de services offerts. Les acteurs doivent savoir que toute insuffisance des services conduit, certes, à la perte de ventes, mais également à une frustration chez les consommateurs qui pourraient être tentés de s’approvisionner sur le marché noir.
En attendant d’en savoir plus, une production insuffisante ou excédentaire risque de peser sur les marges bénéficiaires et éprouver la confiance des investisseurs. Cette période d’adaptation complique également la planification de la chaîne d’approvisionnement et se répercute sur les calculs des combinaisons de produits, la gestion des stocks et de leur durée d’entreposage ainsi que le traitement des commandes.
Chaque segment de la chaîne d’approvisionnement aura aussi ses défis propres.
i) En amont, les producteurs autorisés doivent s’attendre à ce que la fragmentation de l’offre vienne compliquer leur planification. En effet, les petits et les moyens producteurs pourraient bien inonder le marché de produits génériques, grignotant ainsi les marges de l’ensemble des producteurs. En même temps, la nécessité de faire appel à de coûteuses technologies de suivi et de localisation pourrait augmenter les coûts des producteurs autorisés au-delà des coûts habituels de l’agriculture ordinaire.
ii) Les distributeurs intermédiaires, eux, devront s’organiser pour gérer de larges gammes de produits, des lots de petite taille et une fréquence élevée d’exécution des commandes. La courbe d’apprentissage sera sans doute abrupte, en particulier pour les organismes de réglementation provinciaux qui choisiront d’administrer un système de distribution à deux volets, soit par l’intermédiaire de détaillants, soit directement aux consommateurs.
iii) Enfin, les détaillants en aval pourraient voir leur chaîne d’approvisionnement bouleversée par la concurrence qu’exercera le marché noir, car nous pressentons que ce dernier sera très actif dans un premier temps. De plus, la diversité des réglementations provinciales pourrait leur poser des difficultés supplémentaires. Selon les territoires de compétence, les prix du cannabis au détail pourraient être fixés par les organismes de réglementation, privant ainsi les vendeurs de toute latitude pour faire face à la dynamique entre l’offre et la demande.
La chaîne d’approvisionnement au Canada sera surveillée de près non seulement par les investisseurs qui ont injecté des milliards de dollars dans le secteur dans l’espoir qu’il se montre très lucratif, mais aussi par les entreprises d’autres pays où la légalisation de cannabis récréatif est proche, en particulier les États-Unis.