Le bien-être au sein des forces de l’ordre est un sujet qui touche tous les services de police et leurs membres au Canada. En mars 2022, nous avons tenu une table ronde avec des officiers supérieurs d’un important service de police canadien pour discuter de leurs expériences et des leçons qu’ils ont tirées du suicide de plusieurs membres du service au cours de la dernière décennie. Un petit groupe de dirigeants provinciaux et de services de police, venus des quatre coins du pays pour écouter et échanger des idées, était également présent. Les discussions ont permis de dégager plusieurs thèmes importants, dont le rôle essentiel de la direction dans la mise en place de changements réels et durables, que nous continuerons d’explorer en profondeur tout au long de l’année.
La démarche vers le bien-être du service de police concerné a mis en évidence le fait que les perceptions des dirigeants et des membres étaient parfois mal alignées. Alors que la direction estimait que les programmes liés au bien-être étaient solides, les membres affichaient une certaine méfiance envers ces programmes.
Cette méfiance découlait de divers facteurs, notamment la perception que les dirigeants choisissaient unilatéralement les facilitateurs du soutien par les pairs ou du programme. Cela a amené certains membres à croire que ces facilitateurs étaient liés à l’organisation ou qu’ils n’agissaient pas vraiment dans l’intérêt des agents. Même s’il ne s’agit que d’une impression pouvant être inexacte, le lien perçu a mené à ce sentiment qui pèse lourd.
Une autre source de méfiance provenait du sentiment général que les personnes nommées par la direction pour exécuter les programmes pourraient être mieux équipées et qualifiées pour déployer le soutien nécessaire. Les agents en ont conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de ressources pour ces initiatives, parce qu’elles n’étaient pas une priorité pour la direction, mais plutôt de belles paroles ou une case à cocher, ce qui a miné davantage leur confiance envers l’organisation et ces programmes.
Le service de police a reconnu ces perceptions erronées et a effectué des investissements considérables pour que des cliniciens et des professionnels de la santé mentale puissent orienter ses programmes de bien-être, ce qui a permis d’établir la crédibilité et la validité du soutien aux yeux des membres. La réaction opportune du service de police à ces constats et les mesures concrètes qui ont été prises se sont avérées essentielles pour amorcer le processus visant à rétablir la confiance envers l’organisation et la crédibilité de celle-ci, et pour fournir aux agents le soutien dont ils ont besoin.
Ces thèmes sont apparus dans le contexte d’une méfiance généralisée et de longue date entre la direction et les membres, qui existait même avant la tragédie des nombreux suicides survenus dans un laps de temps relativement court. Les membres avaient l’impression que les dirigeants de l’organisation manquaient d’empathie et d’engagement. À la suite d’incidents majeurs, ces impressions sont devenues un élément clé du décalage entre ce que la direction essayait de faire et la façon dont les agents percevaient ces efforts. Cette méfiance généralisée reflétait donc les problèmes plus importants de l’organisation en matière de bien-être.
Ces thèmes montrent que le chemin vers le bien-être, tant sur le plan individuel qu’organisationnel, commence par la confiance. Les membres doivent être convaincus que leurs superviseurs, leurs dirigeants et leurs pairs travaillent en tenant réellement compte de leur bien-être physique et psychologique. Sans ce fondement, même les meilleurs programmes et services pourraient échouer en raison d’un manque d’engagement, d’intérêt et d’immersion de la part des membres. La perception selon laquelle les initiatives de bien-être sont déployées sans égard au rôle de la confiance peut être un élément d’introspection important pour les organisations.
Par exemple, malgré l’introduction généralisée de programmes d’aide aux employés, de coordonnateurs du bien-être et de directives sur la santé et la sécurité au travail par les services de police au pays, des agents et des organisations entières continuent de faire face à des problèmes de santé et de bien-être. En fait, ce qui manque peut-être dans l’équation, comme nous l’avons souligné, c’est le lien entre la direction, le ministère et l’environnement opérationnel de l’organisation. En effet, cela va au-delà de la méfiance des membres à l’égard de la motivation et de la capacité des dirigeants à placer le bien-être des agents à l’avant-plan, et on omet de reconnaître que l’environnement de travail créé par de nombreux services de police est une source importante de stress. Les politiques ministérielles, le manque de ressources, les conflits entre pairs et l’impression que la direction n’apporte aucun soutien ou n’est pas efficace peuvent accroître le niveau de stress des agents. Dans de nombreux cas, une intervention est en fait nécessaire en milieu de travail, et pas nécessairement au niveau des membres.
Plusieurs études ont révélé que le climat organisationnel et la charge de travail d’un service de police contribuent grandement au stress des agents1,2. Ainsi, certains observateurs soutiennent que l’organisation policière est, dans les faits, une plus grande source de stress que les opérations policières3. Cette constatation vient appuyer l’argument selon lequel les programmes et les services de bien-être sont susceptibles d’avoir une portée limitée lorsqu’ils sont déployés sans égard aux expériences et aux perceptions des membres.
Cela soulève un autre élément essentiel : le bien-être des dirigeants. Il importe de tenir compte aussi de la santé mentale de ceux qui doivent faire face à la méfiance, au mauvais alignement des services et au traumatisme des membres lors des situations de crise. Les personnes qui ne vont pas bien elles-mêmes sont incapables de soutenir efficacement les autres ou de réduire les sources de stress au sein de l’organisation. Le bien-être doit imprégner tous les niveaux de l’organisation, et faire partie intégrante de l’ADN d’un service de police.
Les services de police qui ont participé à notre table ronde reconnaissent que le bien-être doit aller au-delà d’une offre de soutien ou de l’introduction d’un programme d’incidents critiques. Le bien-être doit faire partie de tout ce que fait une organisation, qu’il s’agisse des actions, des communications, du mentorat, des politiques et des aspects financiers. D’autres services de police commencent d’ailleurs à s’en rendre compte, d’autant plus que les maladies à long terme et les troubles de stress post-traumatique ont des répercussions considérables sur les horaires, les heures supplémentaires et les coûts de fonctionnement d’un service. Une partie du processus d’intégration du bien-être dans l’ADN d’une organisation réside dans les mots choisis par la direction et les messages subtils transmis aux membres au quotidien. La culture du bien-être doit teinter le libellé des formulaires et politiques, ainsi que le langage utilisé dans les interactions quotidiennes et les communications d’entreprise. Les services de police peuvent obtenir des résultats probants lorsqu’ils intègrent le bien-être dans leur façon de voir leur mandat et de vivre leurs valeurs. Il ne suffit pas de fournir des programmes qui ne seront pas utilisés et des réseaux de soutien qui ne créeront pas de liens significatifs, ou que les dirigeants défendent le bien-être sans le démontrer dans leurs propres choix. Il ne suffit pas non plus de simplement réagir aux incidents. Pour créer un changement durable, l’organisation doit intégrer le bien-être de façon délibérée et proactive dans tout ce qu’elle fait, du sommet à la base.
Comme l’a mentionné l’un de nos participants, les initiatives de bien-être ne sont pas l’équivalent d’une « équipe de nettoyage ». Le bien-être découle d’une démarche intentionnelle, proactive et bienveillante, et non pas seulement d’une réponse aux incidents.
1 P.A. Collins et A.C.C. Gibbs, Stress in police officers : a study of the origins, prevalence and severity of stress-related symptoms within a county police force, Occupational Medicine 53, No 4 (2003) : 256-64.
2 K.D. Hassell et S.G. Brandl, An examination of the workplace experiences of police patrol officers : the role of race, sex, and sexual orientation, Police Quarterly 12, No 4 (2009) : 408-30.
3 J.M. Shane, Organizational stressors and police performance, Journal of Criminal Justice 38, No 4 (2010) : 807-18.
Première directrice, Sécurité publique et justice, PwC Canada
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