Point de vue fiscal : Le ministère des Finances entreprend une consultation sur la réforme et la modernisation des règles du Canada en matière de prix de transfert

09 juin, 2023

Numéro 2023-18F

En bref

Le 6 juin 2023, le ministère des Finances du Canada a publié un document de consultation intitulé « Consultation sur la réforme et la modernisation des règles canadiennes sur les prix de transfert1 » afin de solliciter la rétroaction des parties prenantes sur diverses questions et propositions liées à la législation canadienne sur les prix de transfert (la consultation). La consultation semble largement influencée par les limites perçues des règles du Canada en matière de prix de transfert comme établi par le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Cameco Corporation, 2020 CAF 112 (Cameco) et a le potentiel de transformer fondamentalement le paysage des prix de transfert au Canada.

La consultation met l’accent sur les modifications potentiellement substantielles à la règle d’ajustement des prix de transfert de l’article 247 de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la loi) visant à clarifier l’application du principe de pleine concurrence au Canada et à aligner la législation canadienne en matière de prix de transfert sur le consensus international à ce sujet. La consultation touche également à certains aspects administratifs des prix de transfert :

  • exigences relatives à la documentation, par exemple l’adoption potentielle d’un système à fichier local et fichier principal;
  • mise à jour des dispositions en matière de pénalités;
  • possibilités de simplification, comme une fixation normalisée des prix pour les services à faible valeur ajoutée, les activités de distribution ordinaires et les arrangements financiers intersociétés.

Le processus de consultation donne aux parties prenantes la chance de faire des commentaires et de fournir de la rétroaction sur les propositions d’ici le 28 juillet 2023.

En détail

La législation actuelle du Canada en matière de prix de transfert (adoptée en 1997) est considérée comme générale et pauvre en lignes directrices explicites quant à l’application du principe de pleine concurrence. Ce principe veut que les conditions des opérations entre parties liées soient comparables à celles qui auraient été appliquées si les parties étaient indépendantes. Son but est de veiller à ce que le bon montant de bénéfices soit déclaré et imposé au Canada. La législation des pays dont les règles sur les prix de transfert sont plus modernes contient généralement des dispositions plus détaillées. La consultation vise à remédier au manque actuel de lignes directrices explicites quant à l’application du principe de pleine concurrence et à considérer des façons plus modernes ou plus simples de traiter les prix de transfert dans certaines situations particulières. Elle contient cinq grandes sections :

  • Introduction
  • Consensus international sur l’application du principe de pleine concurrence
  • État actuel des lois fiscales sur les prix de transfert au Canada
  • Solutions proposées
  • Mesures administratives

Introduction

Cette section présente l’historique et le contexte de la consultation; et explique les objectifs du ministère des Finances, ainsi que la portée de la consultation et le processus suivi. On y définit en outre quelques termes et abréviations clés utilisés dans le document, comme le principe de pleine concurrence; les principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (les principes de l’OCDE); et le projet de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).

Consensus international sur l’application du principe de pleine concurrence

Dans cette section, on décrit l’évolution et le développement du principe de pleine concurrence en tant que norme internationale pour les prix de transfert, comme le reflète l’article 9 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE et les principes de l’OCDE. Elle contient en outre un résumé des principaux changements proposés dans le projet BEPS, qui ont joué un rôle dans la révision et la mise à jour des principes de l’OCDE en 2015.

État actuel des lois fiscales sur les prix de transfert au Canada

Cette section présente une analyse de la législation canadienne actuelle en matière de prix de transfert, qu’on trouve dans l’article 247 de la Loi. Elle cible deux aspects sous lesquels la loi ne fournit aucune ligne directrice explicite quant à l’application du principe de pleine concurrence :

  • la façon de déterminer l’opération ou la série d’opérations contrôlée relativement à ses caractéristiques pertinentes sur le plan économique;
  • la façon de comparer les conditions d’une opération ou d’une série d’opérations avec celles d’opérations ou de séries d’opérations réalisées sur le marché de pleine concurrence en des circonstances comparables.

On y discute également de certains cas récents qui ont fait jurisprudence au Canada, en particulier l’arrêt Cameco, qui a permis de dégager certaines des difficultés et des limites de la législation actuelle au chapitre des prix de transfert.

Solutions proposées

Cette section présente les propositions législatives qui modifient l’article 247 de la Loi dans le but d’offrir aux contribuables une plus grande clarté et davantage de certitude quant à l’application du principe de pleine concurrence; et d’aligner les règles du Canada en matière de prix de transfert sur le consensus international. Les principales propositions sont de nouvelles règles qui :

  • exigent que l’opération ou la série d’opérations contrôlée soit évaluée à la lumière de ses caractéristiques économiquement pertinentes (qui seront aussi définies dans la législation et largement alignées sur le libellé des principes 2022 de l’OCDE). Cette règle vise à délimiter l’opération contrôlée par rapport au comportement réel des parties et non seulement sur la base des conditions contractuelles. On accorde ainsi une importance accrue à l’analyse fonctionnelle des parties. Cette règle permettrait également à l’Agence du revenu du Canada (ARC) d’ignorer ou de remplacer l’opération ou la série d’opérations contrôlée dans des circonstances exceptionnelles;
  • exigent que les conditions de l’opération ou de la série d’opérations contrôlée soient comparées avec celles d’opérations ou de séries d’opérations de pleine concurrence dans des circonstances comparables. On entend « conditions » au sens large, et le terme inclura tout renseignement de nature commerciale ou financière pertinent pour l’opération ou la série d’opérations. En vertu des modifications proposées, l’application du principe de pleine concurrence exigerait qu’on détermine lesquelles des conditions de l’opération ou de la série d’opérations délimitée auraient été incluses si les parties avaient fait des affaires sans aucun lien de dépendance entre elles dans des circonstances comparables. Cette règle permettrait aussi l’utilisation de comparateurs hypothétiques en l’absence de comparateurs réels fiables, ce qui donnerait à l’ARC toute latitude pour déterminer si une opération contrôlée a ou non été effectuée conformément au principe de pleine concurrence et a le potentiel de plonger les contribuables dans l’incertitude.
  • précisent que les règles sur les prix de transfert doivent être appliquées en phase avec les principes de l’OCDE, à moins que le contexte n’exige qu’il en soit autrement. Cette règle définirait aussi que les principes de l’OCDE englobent les versions publiées en 1995, 2010, 2017 et 2022, et adopterait une approche statique du renvoi aux principes de l’OCDE. Cela signifie que la modification future des principes de l’OCDE n’aurait pas nécessairement d’incidence sur l’interprétation des règles en matière de prix de transfert. Cette approche pourrait avoir quelques avantages, comme d’offrir plus d’assurance et de stabilité aux contribuables et à l’administration fiscale; mais aussi des désavantages, comme créer des écarts ou des disparités par rapport au consensus international ou aux pratiques d’excellence, qui changent constamment.

La section donne aussi quelques exemples d’application des règles proposées dans différents scénarios et sollicite des commentaires et de la rétroaction de parties prenantes sur diverses questions liées aux règles proposées.

Mesures administratives

Cette section porte sur certains aspects administratifs des prix de transfert, comme la documentation, les dispositions relatives aux pénalités et les approches simplifiées. On y passe en revue les exigences actuelles et les obstacles dans ce domaine, et on propose certains changements possibles ou améliorations, par exemple :

  • harmoniser les exigences relatives au fichier local avec le Rapport sur l’Action 13 du BEPS, qui a instauré une approche normalisée pour ce fichier;
  • mettre en place une exigence relative au fichier principal, qui a aussi été instaurée par le Rapport sur l’Action 13 du BEPS et qui fournit un aperçu général des politiques en matière d’activités mondiales et de prix de transfert des multinationales (les contribuables seraient uniquement tenus de préparer et de soumettre un fichier principal dans le cadre d’une vérification relative aux prix de transfert lorsque le groupe atteint le seuil d’exigence d’une déclaration pays par pays);
  • instaurer des exigences de documentation simplifiées pour les opérations de moindre valeur et les petits contribuables, comme un calendrier de déclaration annuelle ou une exemption fondée sur un seuil ou critère de taille de minimis;
  • passer en revue les dispositions en matière de pénalités relatives aux prix de transfert, dont le but est d’encourager les contribuables à tenir leur documentation à jour et de décourager la non-conformité, et de se demander s’il est nécessaire de les mettre à jour et de les modifier (le ministère des Finances envisage de hausser le seuil de sanction sur les redressements de ceux qui sont supérieurs à 5 millions de dollars ou 10 % des revenus bruts à ceux qui sont supérieurs à 10 millions de dollars ou 10 % des revenus bruts);·        
  • étudier la possibilité d’adopter des approches de fixation des prix simplifiées pour certaines opérations, notamment en instaurant :
    • un rendement normalisé réputé être de pleine concurrence ou un rendement du régime de protection pour les services intragroupes à faible valeur ajoutée;
    • un rendement du régime de protection pour les distributeurs qui exercent des activités relativement simples
    • une limite quant à la gamme acceptable de certaines conditions de prêt lorsqu’il s’agit de déterminer l’opération comparable sur le marché libre, par exemple par la limitation de la durée des prêts intragroupes, l’utilisation d’une notation de crédit du groupe de multinationales et l’élimination des caractéristiques de subordination et des options intégrées

À retenir

Le ministère des Finances s’est engagé à moderniser les règles du Canada en matière de prix de transfert, et les révisions proposées donnent suite à des promesses antérieures du gouvernement fédéral de répondre aux préoccupations soulevées relativement au cas Cameco. Les changements proposés à la législation pourraient transformer fondamentalement et à de nombreux égards la façon dont les contribuables canadiens devront analyser et documenter leurs arrangements intragroupes en matière de prix. Nos observations préliminaires sur la consultation sont les suivantes :

  • la portée des implications de l’utilisation de comparateurs hypothétiques pourrait être vaste et nécessiter une analyse plus poussée;
  • les simplifications proposées pourraient être bien accueillies de certains contribuables particulièrement petits ou pour des opérations simples pour lesquelles le fardeau de conformité est élevé par rapport à leur valeur;
  • l’harmonisation proposée du fichier principal et du fichier local avec les pratiques mondiales pourrait aider certains groupes de multinationales à normaliser leurs efforts de conformité;
  • les propositions relatives aux opérations de financement intragroupes mettent en lumière l’attention continue que le gouvernement accorde à la déductibilité des intérêts.

Nous continuerons de passer la consultation en revue au cours des prochaines semaines. Nous encourageons les parties prenantes à exprimer leurs points de vue et leurs idées dans le cadre de la consultation, puisqu’ils pourraient influer sur des réformes et des mesures administratives potentielles. La date limite pour soumettre des commentaires et de la rétroaction est le 28 juillet 2023.

 

1. Ministère des Finances, « Consultation sur la réforme et la modernisation des règles canadiennes sur les prix de transfert »

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Simon Langlois

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Éric  Labelle, LL.L.

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