Point de vue fiscal : Orientation stratégique du ministère des Finances concernant l’IFRS 17 sur les contrats d’assurance

18 juin, 2021

Numéro 2021-14F

En bref

Le 28 mai 2021, le ministère des Finances a publié un document d’information1 qui donne une indication générale de l’orientation de sa politique concernant la norme internationale d’information financière (IFRS) 17. En général, le gouvernement fédéral appuie l’utilisation du revenu comptable selon la norme IFRS 17 comme base pour déterminer le revenu à des fins fiscales, ce qui est une bonne nouvelle pour le secteur de l’assurance. Toutefois, le gouvernement a indiqué qu’il ne permettra pas aux assureurs de déduire la « marge sur services contractuels » (MSC) en tant que réserve d’assurance à des fins fiscales. Le gouvernement lance des consultations avec les parties prenantes du secteur2 sur la meilleure façon de mettre en œuvre sa position stratégique, ainsi que sur d’autres questions fiscales qui pourraient se poser lors de l’adoption de l’IFRS 17.

En détail

Contexte

En mai 2017, l’International Accounting Standards Board a publié la norme IFRS 17, qui remplacera la norme IFRS 4 pour la comptabilisation des contrats d’assurance et entrera en vigueur le 1er janvier 2023. L’IFRS 17 modifiera considérablement la communication de l’information financière pour les compagnies d’assurance et de réassurance, notamment :

  • les assureurs-vie, qui comprennent les prestataires de rentes, d’assurance-accidents et d’assurance-maladie;
  • les compagnies d’assurances multirisques, qui comprennent les prestataires d’assurance automobile, responsabilité, de biens personnels, de biens commerciaux et de titres.
  • L’IFRS 17 modifiera considérablement la mesure des revenus des contrats d’assurance, surtout les contrats d’assurance-vie et autres contrats d’assurance à long terme.

La nature unique de l’assurance, où les primes sont mises en commun, puis investies pour payer les sinistres, souvent des années après la vente des contrats, a donné lieu à des règles spécifiques concernant le calcul du revenu à des fins fiscales. Ces règles fiscales spéciales permettent aux assureurs de déduire des réserves de primes reçues, en reconnaissance des réclamations futures qui seront payées. En vertu de l’IFRS 17, les réserves continueront d’être déterminées actuariellement lors de la vente des contrats d’assurance; toutefois, l’IFRS 17 établira une nouvelle réserve, la MSC, qui représentera une partie des bénéfices réalisés sur les contrats d’assurance souscrits qui est différée et progressivement reportée au revenu sur la durée de vie estimée des contrats d’assurance.

Position du gouvernement du Canada

Le gouvernement a l’intention d’apporter des changements qui appuieront généralement l’utilisation de la comptabilité selon la norme IFRS 17 à des fins fiscales et permettront de comptabiliser les bénéfices dans le revenu imposable de façon harmonisée avec les activités économiques.

Le ministère des Finances est d’avis que si le mécanisme de MSC est adopté à des fins fiscales, cela entraînera une comptabilisation différée des bénéfices à des fins fiscales. Le ministère des Finances a également noté que l’IFRS 17 instaurera un traitement asymétrique de certains types de bénéfices et de pertes, puisque les bénéfices (et non les pertes) seront reportés par l’intermédiaire de la MSC. Plus précisément, il s’agit d’une préoccupation parce que les règles relatives aux « contrats déficitaires » de la nouvelle norme comptable exigeront (si, au moment de la souscription, il est prévu qu’un groupe de contrats génère une perte au cours de sa durée de vie) que l’assureur comptabilise immédiatement cette perte dans le revenu.

En réponse au traitement comptable susmentionné, le ministère des Finances a indiqué que la MSC ne serait pas considérée comme une réserve déductible à des fins fiscales. À son avis, cette approche préserverait largement les règles fiscales existantes.

Incidences

Traitement fiscal de la MSC

L’exclusion de la composante MSC des réserves d’assurance accélérera effectivement la constatation du revenu imposable de façon permanente par rapport au revenu comptable calculé selon l’IFRS 17. Cela générera un actif d’impôt différé (AID) structurel et pourrait avoir une incidence sur l’utilisation et la comptabilisation des AID nouvellement comptabilisés et préexistants, ce qui aurait des implications importantes sur la modélisation et la prévision des effets de la mise en œuvre de l’IFRS 17. L’incidence des éléments d’impôt différé sur le calcul de la suffisance du capital (p. ex. TCM, TSAV et TSAM) doit également être pris en compte.

Le gouvernement n’a pas fourni de commentaires sur la question de savoir si d’autres changements apportés aux réserves en vertu de l’IFRS 17 seront acceptés à des fins fiscales, bien que cette position semble être implicite. Ainsi, les assureurs devraient se demander si les réserves fiscales autorisées augmenteront ou diminueront globalement une fois la norme adoptée.

Bien que l’annonce du ministère des Finances suggère qu’il y avait une préoccupation concernant le déséquilibre perçu dans la déduction immédiate des pertes sur les contrats déficitaires, il n’y avait aucune mention d’un ajustement spécifique concernant ces contrats. Cela signifie vraisemblablement que le ministère des Finances acceptera une déduction immédiate pour les contrats déficitaires, puisque les contrats rentables seront également imposés d’emblée. Conformément à ce résultat, nous prévoyons que les coûts d’acquisition des polices (qui seraient autrement différés en conjonction avec la MSC) seront effectivement déductibles au fur et à mesure à des fins fiscales.

Le gouvernement n’a fourni aucune indication sur la façon dont les incidences transitoires de l’adoption de l’IFRS 17 sur les réserves d’assurance seront traitées d’un point de vue fiscal. Si les ajustements transitoires relatifs à la mesure des réserves sont intégrés au fil du temps dans le revenu imposable, comme cela a été le cas lors de modifications comptables précédentes, des soldes d’impôts différés supplémentaires apparaîtront. En l’absence d’une déduction pour la MSC, il reste à voir dans quelle mesure les ajustements transitoires restants auront une incidence sur les assureurs lors de l’adoption de l’IFRS 17. Des mesures transitoires seront également nécessaires pour traiter les contrats qui ne seront plus traités comme des assurances en vertu de l’IFRS 17.

Le gouvernement n’a pas non plus fourni d’indication sur le traitement du refus de la composante MSC des réserves pour d’autres domaines fiscaux pertinents, notamment le calcul du fonds de placement canadien, qui concerne les assureurs multinationaux et les succursales; et les montants pertinents du bilan aux fins de l’impôt de la partie VI (capital), qui s’appliquent à certains assureurs-vie.

Comme nous l’avons mentionné, le commentaire du ministère des Finances était axé sur l’incidence de la MSC et s’applique donc principalement aux assureurs-vie qui établissent des contrats à plus long terme. Le gouvernement n’a pas abordé les considérations de politique fiscale relatives aux assureurs qui prévoient utiliser principalement la méthode facultative de la répartition des primes (modèle MRP), qui s’applique à la plupart des assureurs multirisques canadiens. Les assureurs multirisques qui utilisent le modèle d’évaluation général (MEG) de l’IFRS 17 (et qui déclarent donc la MSC) devraient également examiner de près l’incidence de cette annonce de politique sur leurs positions fiscales.

L’IFRS 17 comme base d’imposition

Bien qu’aucun détail substantiel n’ait été fourni, l’intention du gouvernement de soutenir l’utilisation de l’IFRS 17 comme base de calcul du revenu à des fins fiscales est une bonne nouvelle pour le secteur de l’assurance. Cela signifie que les mécanismes législatifs existants resteront en grande partie en place, mais avec les ajustements nécessaires (notamment ceux relatifs à la MSC). Toutefois, l’importance des modifications à apporter à la Loi de l’impôt sur le revenu variera en fonction de questions fiscales particulières, et le volume global des changements requis ne doit pas être sous-estimé.

En plus de travailler sur les changements législatifs requis, il est prévu qu’un chantier correspondant soit entrepris pour traiter les aspects administratifs de l’adoption de la norme et de la détermination du revenu à des fins fiscales selon l’IFRS 17. Cela comprend les aspects pratiques, comme la façon dont les déclarations de revenus sont remplies et comment le revenu est concilié entre comptabilité et fiscalité. Dans le cadre de ce processus, les formulaires fiscaux pourraient être modifiés ou entièrement changés. Ce chantier devrait faciliter l’administration du régime fiscal par l’Agence du revenu du Canada (ARC). Toutefois, nous nous attendons à ce que l’ARC et le ministère des Finances collaborent étroitement pour intégrer les aspects législatifs et administratifs de l’adoption de l’IFRS 17.

Processus de consultation et prochaines étapes

Le gouvernement cherche à obtenir des commentaires sur la meilleure façon d’appliquer la norme IFRS 17, afin de faciliter sa mise en œuvre pour les compagnies d’assurance et de permettre la vérification par l’ARC. Le gouvernement tient également à obtenir des opinions sur d’autres questions fiscales possibles qui pourraient découler de la mise en œuvre de la nouvelle norme ou de la transition vers celle-ci. Ces consultations aideront le gouvernement à élaborer des modifications éventuelles à la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres outils administratifs (p. ex. les formulaires fiscaux).

Le secteur de l’assurance, en particulier les assureurs-vie, ne sera pas enthousiaste à l’idée du refus de la MSC comme réserve fiscale et pourrait remettre en question le point de vue du gouvernement selon lequel cette position stratégique permet d’harmoniser l’imposition avec le calendrier de l’activité économique. Le point de vue du secteur a du mérite, étant donné que :

  • les principes qui sous-tendent l’IFRS 17 harmonisent la comptabilisation des bénéfices avec la prestation de services;
  • la politique fiscale formulée par le gouvernement n’est pas suivie pour les nombreux produits et services comparables offerts dans le secteur des services financiers.

D’après la façon dont les consultations sont organisées, il semble que le gouvernement cherche à obtenir des commentaires à la fois sur les changements législatifs et les éléments administratifs abordés ci-dessus. Il est moins clair si le gouvernement est ouvert à l’examen de points de vue sur l’harmonisation des bénéfices de l’assurance avec l’activité économique et sur le refus qui en résulte de considérer la MSC comme une réserve fiscale.

Nous espérons que le gouvernement cherchera à travailler en étroite collaboration avec le secteur de l’assurance au cours des prochains mois afin d’identifier et de traiter correctement ces questions de mise en œuvre. Les parties prenantes qui souhaitent présenter un mémoire doivent le faire avant le 30 juillet 2021.

À retenir

Le gouvernement a présenté son approche concernant l’utilisation des soldes en vertu de l’IFRS 17 à des fins fiscales – il ne permettra pas aux assureurs déclarant selon la méthode générale de déduire la MSC en tant que réserve d’assurance, mais il préserve largement les autres règles fiscales existantes concernant les assureurs.

Le gouvernement a indiqué que, mis à part la modification susmentionnée pour la MSC, il est généralement favorable à l’utilisation de la comptabilité selon la norme IFRS 17 à des fins fiscales et que l’« auditabilité » est un objectif clé; cela rassure quelque peu les assureurs qui s’inquiètent de la suffisance des bilans financiers IFRS 17 à des fins fiscales.

Alors que les assureurs recherchent la prévisibilité et la stabilité à l’approche de la date de mise en œuvre de l’IFRS 17, nous pensons que le signal du gouvernement d’utiliser le revenu comptable comme point de départ à des fins fiscales est un développement positif. Cependant, le secteur a encore besoin de plus de clarté sur la mesure dans laquelle des obligations supplémentaires en matière de communication de l’information financière sont imposées pour répondre à des considérations administratives, et sur le besoin qui en résulte de données provenant des systèmes financiers qui sont en cours de conception et de mise en œuvre.

Le processus de consultation du gouvernement est ouvert jusqu’à la fin du mois de juillet. Nous espérons que cela permettra d’accélérer le processus afin de régler bon nombre des autres questions en suspens. Avec la troisième étude d’impact quantitative du Bureau du surintendant des institutions financières qui se profile à l’horizon, les assureurs devraient profiter de cet exercice pour effectuer une modélisation afin de mieux préciser l’incidence des changements proposés sur leur situation particulière.

 

1. Document d’information du ministère des Finances sur les « Consultations sur les répercussions fiscales des règles comptables internationales concernant les contrats d’assurance (IFRS 17) » (28 mai 2021).  
2. Pour plus de détails sur les consultations du ministère des Finances, voir « Consultations sur les répercussions fiscales des règles comptables internationales concernant les contrats d’assurance (IFRS 17) ».

 

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Carl Demers

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