Point de vue fiscal : Règles de divulgation obligatoire ─ les contribuables, les conseillers et les promoteurs doivent se préparer

23 juin, 2023

Numéro 2023-17F

Mise à jour du 23 juin 2023 : Le 22 juin 2023, le projet de loi C-47, qui inclut des mesures portant à exécution des règles de divulgation obligatoire améliorées (RDO), a reçu la sanction royale. La version sanctionnée de ces mesures est identique à celle qui a été déposée le 20 avril 2023 (et dont il a été question dans notre Point de vue fiscal du 2 mai 2023). Par conséquent :

  • les règles en matière d’« opérations à déclarer » révisées s’appliqueront aux opérations conclues après la sanction royale; 
  • la nouvelle obligation de déclarer les « traitements fiscaux incertains » s’appliquera aux années d’imposition qui débutent après 2022, mais les pénalités propres à une production tardive ne s’appliqueront qu’aux années d’imposition commençant après  la sanction royale.

Bien que la nouvelle obligation de déclarer les « opérations à signaler » s’appliquera techniquement aux opérations postérieures à la sanction royale, aucune opération n’a encore été officiellement désignée à cette fin. 

Le reste de ce Point de vue fiscal a été publié le 2 mai 2023. Il n’a pas été modifié par suite de l’adoption du projet de loi C-47.

 

En bref

Le 20 avril 2023, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-471, qui inclut des mesures portant à exécution des règles de divulgation obligatoire révisées et élargies relatives aux opérations d’évitement fiscal et aux traitements fiscaux incertains, communément appelées « règles de divulgation obligatoire » (RDO). Ces mesures avaient d’abord été annoncées dans le budget fédéral 2021; elles ont été suivies de propositions législatives le 4 février et le 9 août 2022. 

Les RDO sont tripartites :

  • l’obligation de déclarer, déclenchée par des marqueurs généraux, s’applique aux opérations conclues après la sanction royale; 
  • l’obligation de signaler, déclenchée par une ressemblance avec des opérations spécifiquement désignées, s’applique aux opérations conclues après la sanction royale; 
  • le traitement fiscal incertain, déclenché par la constatation des états financiers, s’applique aux années d’imposition qui débutent après 2022 (des pénalités particulières pour déclaration tardive ne s’appliquent qu’aux années d’imposition qui débutent après la sanction royale).

Les opérations à déclarer et à signaler exigent des contribuables et de tout conseiller ou promoteur concerné une déclaration de renseignements. Les dates limites sont généralement 90 jours après la date de mise en œuvre des opérations concernées. Lorsqu’une opération fait partie d’une série d’opérations, il est possible de produire un formulaire qui divulgue toutes ces opérations. 

Les traitements fiscaux incertains s’appliquent seulement aux grandes sociétés contribuables (généralement celles qui ont un actif minimal de 50 millions de dollars), et la date limite de production est la même que pour les déclarations de revenus des sociétés (c.-à-d. six mois après la fin de l’exercice). 

Puisque l’entrée en vigueur des RDO pour les trois régimes est liée au moment où le projet de loi C-47 recevra la sanction royale, prévue pour la fin de juin 2023, les contribuables, les conseillers et les promoteurs devraient commencer à se préparer à se conformer à ces règles.

En détail

Opérations à déclarer

Règles actuelles

Les règles actuelles exigent que les contribuables déclarent une opération si :

  • celle-ci est considérée comme une « opération d’évitement », tel que ce terme est défini pour l’application de la règle générale anti-évitement; et 
  • elle comporte au moins deux de trois marqueurs généraux (c.-à-d. des honoraires basés sur un avantage fiscal, et les protections confidentielles et contractuelles). 

Une opération à déclarer doit être déclarée au plus tard le 30 juin de l’année civile suivant l’année civile au cours de laquelle l’opération est devenue pour la première fois une opération à déclarer. Bien que le régime inclue des obligations de déclaration pour les conseillers et les promoteurs qui ont droit à certains types d’honoraires (généralement, ceux qui sont liés à l’avantage fiscal visé) au regard de l’opération, en vertu d’une règle de « déclarant individuel », les obligations de déclaration de toutes les personnes tenues de produire une déclaration de renseignements pour une opération sont réputées satisfaites lorsqu’une telle personne produit la déclaration pertinente.

Règles révisées

Le projet de loi C-47 élargit sensiblement le régime de déclaration des opérations. Plus particulièrement :

  • le seuil définissant une « opération d’évitement » est abaissé pour qu’une opération puisse être considérée comme une opération d’évitement s’il est raisonnable de conclure que « l’un des principaux objets » de l’opération est l’obtention d’un avantage fiscal;
  • un seul des trois marqueurs doit être présent pour qu’il soit requis de déclarer une opération.

Cependant, certaines modifications d’assouplissement des marqueurs sont apportées, notamment l’ajout d’exceptions pour : 

  • les demandes pour la recherche scientifique et le développement expérimental, au regard du marqueur « honoraires »;
  • la protection de représentations et de garanties standard dans le contexte de la vente sans lien de dépendance d’une entreprise, au regard du marqueur « protection contractuelle ».
Obligation de déclaration

Les règles relatives aux « opérations à déclarer » révisées exigent que le contribuable (ou une autre personne qui est partie à l’opération au nom du contribuable) produise une déclaration de renseignements prescrite dans un délai de 90 jours suivant la première des dates suivantes :

  • le jour où il a l’obligation contractuelle de conclure l’opération, ou
  • le jour où il conclut l’opération.

Une déclaration de certains promoteurs et conseillers impliqués dans l’opération sera aussi exigée, dans les mêmes délais, et, contrairement au régime actuel, il n’y aura pas de règle de « déclarant individuel ».

Pénalités

Les pénalités associées au défaut de déclarer ces opérations sont substantielles :

  • pour les contribuables, elles peuvent atteindre 100 000 $ ou 25 % de l’avantage fiscal recherché, jusqu’à concurrence du plus élevé;
  • pour les conseillers ou les promoteurs, elles se chiffrent à la valeur totale des honoraires facturés, plus 10 000 $, plus une somme additionnelle pouvant atteindre 100 000 $.

Opérations à signaler

Le projet de loi C-47 instaure une obligation de produire une déclaration de renseignements prescrite pour une nouvelle catégorie d’opérations déterminées (les « opérations à signaler ») qui ont été désignées par le ministère du Revenu national, avec le concours du ministère des Finances. Les contribuables, les conseillers et les promoteurs seront tenus de déclarer une opération ou une série d’opérations qui est identique, ou essentiellement semblable, à une opération ou série d’opérations « désignée ». Des opérations sont considérées comme essentiellement semblables si on s’attend à ce qu’elles produisent des conséquences fiscales identiques ou similaires et si elles sont semblables dans les faits ou basées sur une stratégie fiscale identique ou similaire. La loi préconise une interprétation qui est largement en faveur de la divulgation.

Les opérations à signaler comprendraient les opérations que l’Agence du revenu du Canada (ARC) a considérées comme abusives ainsi que celles déterminées comme des opérations dignes d’intérêt. 

Bien que la définition de « conseiller » au sens des opérations à signaler soit généralement la même que pour les opérations à déclarer, elle est aussi large; et le fait que le versement d’honoraires soit facultatif nous amène à nous demander si des employés et associés individuels de sociétés de conseil pourraient être tenus de produire séparément une déclaration. Cependant, il existe une règle spéciale qui prévoit que la production d’une déclaration de renseignements par un employeur couvrirait du coup les obligations de ses employés. Nous nous demandons également si des fiscalistes internes pourraient être considérés comme des « conseillers » et, par conséquent, être tenus de produire un rapport. 

Exemples d’opérations à signaler

En février 2022, le ministère des Finances a publié un document d’information2 qui présente plusieurs exemples d’opérations (ou séries d’opérations) « désignées » :

  • manipulation du statut de société privée sous contrôle canadien pour éviter les règles anti-évitement applicables au revenu de placement;
  • création de pertes sur opérations de chevauchement au moyen d’une société de personnes;
  • évitement de la disposition réputée des biens en fiducie tous les 21 ans;
  • manipulation du statut de faillite pour réduire un montant remis à l’égard d’une dette commerciale;
  • recours aux critères d’objet dans une règle anti-évitement relative aux restrictions au commerce d’attributs pour éviter une acquisition de contrôle réputée;
  • utilisation de prêts adossés pour contourner les règles de capitalisation restreinte et de retenue d’impôt des non-résidents. 

Obligation de déclaration

Les obligations de communication de l’information relatives aux opérations à signaler sont généralement les mêmes que celles des opérations à déclarer, à l’exception de la règle spéciale de l’« employeur » décrite ci-dessus. 

Pénalités

Les pénalités associées à l’omission de produire une déclaration sont généralement les mêmes que pour les opérations à déclarer.

Traitements fiscaux incertains

Le projet de loi C-47 instaure en outre une obligation de divulguer les « traitements fiscaux incertains ». Les règles exigeront qu’une société contribuable qui satisfait toutes les conditions ci-après déclare annuellement des traitements fiscaux incertains particuliers :

  • la société est tenue de produire une déclaration de revenus canadienne et doit compter au moins 50 millions de dollars d’actifs à la fin de l’année financière; 
  • la société, ou un groupe dont elle est membre, doit avoir des états financiers vérifiés et établis conformément aux normes internationales d’information financière ou à d’autres principes comptables généralement reconnus propres à d’autres pays applicables aux sociétés qui sont inscrites à la cote d’une bourse de valeurs à l’étranger; 
  • il existe un traitement fiscal incertain relativement à l’impôt sur le revenu canadien de la société qui se reflète dans les états financiers vérifiés de la société ou d’un groupe dont elle est membre. 

Un traitement fiscal incertain est un traitement fiscal pour lequel une incertitude dans les états financiers de la société ou d’un groupe dont elle est membre existe. On entend généralement par là une position fiscale pour laquelle il est « plus probable qu’improbable » qu’un seuil d’assurance n’ait pas été atteint.

Obligation de déclaration

La déclaration de tous les traitements fiscaux incertains d’une année d’imposition se ferait dans une déclaration de renseignements prescrite dont l’échéance de production serait la même que celle de la déclaration de revenus canadienne de la société déclarante.

Pénalités

Les pénalités pour production tardive d’une déclaration de renseignements sur des traitements fiscaux incertains se chiffrent à 2 000 $ par semaine pour chaque défaut de déclarer une opération, jusqu’à concurrence de 100 000 $ par opération.

Délai de prescription des cotisations

En plus d’imposer des sanctions pécuniaires directes, on prolonge pour les trois régimes touchés par les RDO la période de nouvelle cotisation pour toutes les opérations, y compris les traitements fiscaux incertains, jusqu’à trois ou quatre ans (selon le type de contribuable) après que toutes les obligations de déclaration applicables ont été satisfaites. Dans le contexte des opérations à déclarer et à signaler, on pourrait penser que le défaut, par un conseiller ou un promoteur, de produire une déclaration relativement à une opération pertinente pourrait avoir une incidence sur la situation fiscale du contribuable, même si ce dernier est en conformité.

Diligence raisonnable et privilège des communications entre client et avocat

Les RDO des trois régimes contiennent des exceptions à l’exigence de diligence raisonnable « standard ». 

Pour les opérations à signaler :

  • l’exception standard s’applique principalement aux obligations de déclaration du contribuable;
  • une autre exception plus large est prévue pour les conseillers et les promoteurs; elle est basée sur la présomption qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils sachent si l’opération était à signaler ou non. 

Des exceptions relatives au privilège des communications entre client et avocat sont aussi prévues dans les régimes de déclaration et de signalement d’opérations.

Entrée en vigueur

Les règles relatives aux opérations à déclarer révisées et les nouvelles règles portant sur les opérations à signaler s’appliquent aux opérations conclues après la sanction royale, prévue pour la fin de juin 2023. Cependant, il semblerait qu’une obligation de déclarer des opérations à signaler ne peut pas se poser tant que les opérations ciblées ne sont pas officiellement désignées par le ministère du Revenu national. Des exemples d’opérations désignées ont été publiés le 4 février 2022, mais le gouvernement fédéral n’a pas indiqué à quel moment il désignera officiellement les opérations. Selon ce qu’il en sera de la désignation du ministère, il est possible que certaines opérations qui se produisent avant la date de leur désignation doivent être déclarées.

Le nouveau régime de traitements fiscaux incertains s’applique aux années d’imposition qui débutent après 2022, mais les pénalités propres à une production tardive ne s’appliqueront qu’aux années d’imposition qui débutent après la sanction royale. Cependant, le défaut de produire une déclaration de renseignements pour les années d’imposition qui débutent après 2022 et avant la date de la sanction royale semble maintenir la période de prescription des cotisations indéfiniment ouverte. C’est pourquoi il est recommandé que les contribuables se conforment aux exigences pour ces années aussi.

À retenir

Puisqu’on prévoit que le projet de loi C-47 recevra la sanction royale en juin 2023, les contribuables, conseillers et promoteurs devraient commencer à se conformer aux nouvelles règles très bientôt. Malheureusement, plusieurs incertitudes subsistent quant à l’interprétation, plus particulièrement en ce qui a trait à la façon dont les règles s’appliquent aux opérations avant la date de désignation d’une opération à signaler et à la portée prévue de la définition de « conseiller ». Les notes explicatives du ministère des Finances sur le projet de loi C-47 portent à croire que la responsabilité de telles clarifications revient maintenant à l’ARC. Nous espérons que l’ARC fournira des directives additionnelles sans tarder. 

Les RDO pour les trois régimes exigent la production d’une déclaration de renseignements dans le formulaire prescrit. S’il existe déjà un tel formulaire pour les opérations à déclarer, il faudra probablement le modifier en fonction des changements apportés au projet de loi C-47. Les opérations à signaler et les traitements fiscaux incertains nécessiteront la création de formulaires entièrement nouveaux.      

Le Québec a déjà en vigueur l’équivalent des règles portant sur les opérations à déclarer et à signaler (pour en savoir plus, lisez le Point de vue fiscal « Règles de divulgation obligatoires du Québec — la date limite pour divulguer les opérations désignées approche » à www.pwc.com/ca/pointdevuefiscal). Le Québec a en outre annoncé son intention d’adopter un régime de traitements fiscaux incertains basé largement sur le régime fédéral.

 

1. Projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 (première lecture : 20 avril 2023; sanction royale : 22 juin 2023, Lois du Canada 2023, c. 26)
2. Ministère des Finances, « Consultation sur les règles de divulgation obligatoire relatives à l’impôt sur le revenu : Exemples d’opérations à signaler » (4 février 2022) à www.canada.ca/fr/ministere-finances.html.

 

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Emélie Breault

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