18 octobre, 2021
Numéro 2021-25F
Le 8 octobre 2021, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a annoncé que 136 pays, dont le Canada, qui soutiennent le projet « Défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie » du Cadre inclusif de l’OCDE, s’étaient engagés à apporter des changements fondamentaux au système d’imposition des sociétés à l’échelle mondiale. Les changements donneraient de nouveaux droits d’imposition qui réattribueraient une partie des bénéfices des grandes entreprises multinationales (EMN) aux pays où sont situés les clients de ces EMN (« Pilier Un ») et introduiraient un taux effectif d’impôt minimum mondial de 15 % (« Pilier Deux »). Ces deux piliers entreraient généralement en vigueur en 2023.
À la suite de l’annonce de l’OCDE, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, a confirmé l’engagement du Canada à l’égard de cet accord international et a annoncé que le Canada avait toujours l’intention d’aller de l’avant avec une loi mettant en œuvre une taxe sur les services numériques (TSN) d’ici le 1er janvier 2022 (comme annoncé dans le budget 2021 du gouvernement fédéral). Toutefois, la TSN ne serait imposée que si la convention multilatérale mettant en œuvre le Pilier Un n’était pas en vigueur au 31 décembre 2023. Dans ce cas, la TSN serait payable à partir de 2024 à l’égard des revenus gagnés depuis le 1er janvier 2022.
Le 13 octobre 2021, les ministres des Finances du G20 se sont réunis à Washington, D.C. Dans leur communiqué, les ministres des Finances ont approuvé l’accord sur le Cadre inclusif et ont demandé aux membres du Cadre inclusif OCDE/G20 de veiller à ce que les nouvelles règles entrent en vigueur à l’échelle mondiale en 2023.
La déclaration1 d’octobre 2021 de l’OCDE, qui a été acceptée par 136 des 140 juridictions membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS, soutient une solution à deux piliers pour relever les défis fiscaux découlant de la numérisation de l’économie.
L’élément principal du Pilier Un est l’attribution d’une part calculée selon une formule des bénéfices consolidés de certaines EMN aux juridictions de marché où les revenus sont réalisés. Le Pilier Un s’appliquerait aux EMN dont les revenus consolidés mondiaux dépassent 20 milliards d’euros et dont le seuil de rentabilité est supérieur à 10 %; le Pilier Un ne s’appliquerait pas aux services financiers réglementés et aux industries extractives. Le bénéfice à réattribuer aux marchés serait de 25 % du bénéfice avant impôt d’une EMN qui dépasse 10 % de ses revenus.
Dans le cadre du Pilier Deux, les juridictions membres ont convenu de promulguer un taux effectif d’impôt minimum de 15 % sur les bénéfices réalisés par les EMN dans chaque juridiction. Cet impôt minimum s’appliquerait aux EMN dont les revenus consolidés mondiaux dépassent 750 millions d’euros.
L’OCDE s’attend à ce que ces changements entrent généralement en vigueur en 2023. Le Pilier Un exigera qu’une convention multilatérale soit élaborée et signée par les juridictions membres en 2022, puis mise en œuvre par chaque membre avant 2023. Le Pilier Deux sera mis en œuvre par la promulgation ou la modification des règles fiscales nationales par les juridictions participantes avec effet en 2023.
Pour plus d’informations, consultez notre bulletin Tax Policy Alert « 136 countries reach political agreement on a new international corporate tax framework ».
Étant donné la complexité de l’élaboration d’une convention multilatérale qui serait acceptable pour les juridictions membres, il n’est pas certain qu’une telle convention puisse être élaborée et mise en œuvre avec succès d’ici 2023. Le Cadre inclusif représente un accord politique, qui peut ou non survivre à l’élaboration de la convention multilatérale, et de nombreuses questions techniques doivent encore être examinées et réglées (comme la détermination des « entités cédantes »). Cette incertitude est évidente dans l’approche adoptée par le Canada en ce qui concerne son projet de TSN (voir ci-dessous).
Le Pilier Deux est sans doute plus robuste, car il repose effectivement sur une masse critique de juridictions mettant en œuvre des règles nationales similaires. Cependant, certaines juridictions considèrent que les Piliers Un et Deux font partie d’un ensemble qui nécessite la mise en œuvre des deux piliers.
Au Canada, l’énoncé économique d’automne du gouvernement fédéral du 30 novembre 2020 proposait de mettre en œuvre une TSN canadienne, à compter du 1er janvier 2022, qui s’appliquerait jusqu’à ce qu’une approche multilatérale acceptable soit mise en œuvre par les membres de l’OCDE et du G20. Dans son budget 2021, le gouvernement fédéral a fourni plus de détails sur la TSN proposée, qui viserait les grandes entreprises mondiales tirant des revenus de certains services numériques dépendant de la participation, des données et des contributions de contenu d’utilisateurs canadiens. La TSN serait une taxe de 3 % qui n’est pas un impôt sur le revenu et qui s’appliquerait aux revenus tirés des marchés en ligne, des médias sociaux, de la publicité en ligne et des données des utilisateurs par les entités (ou les membres d’un groupe d’entreprises) ayant :
Même si le gouvernement fédéral s’était engagé à publier des propositions législatives à l’été 2021, aucun projet de loi n’a encore été publié (vraisemblablement en raison de l’élection fédérale d’août/septembre).
La déclaration de l’OCDE d’octobre 2021 indique que la convention multilatérale visant à mettre en œuvre le Pilier Un supprimera les TSN existantes et autres « mesures similaires pertinentes » pour toutes les entreprises. Elle indique également que les pays signataires acceptent de ne pas imposer de nouvelles TSN à partir du 8 octobre 2021 jusqu’au 31 décembre 2023 ou jusqu’à l’entrée en vigueur d’une convention multilatérale relative au Pilier Un, selon la première éventualité.
Dans sa déclaration d’octobre 2021, la vice-première ministre s’est engagée à finaliser la loi pour mettre en œuvre la TSN d’ici le 1er janvier 2022, mais à ne l’imposer que si la convention multilatérale mettant en œuvre le Pilier Un (voir ci dessus) n’est pas entrée en vigueur d’ici le 31 décembre 2023. Dans ce cas, le Canada commencerait à imposer la TSN le 1er janvier 2024, en ce qui concerne les revenus du champ d’application gagnés depuis le 1er janvier 2022.
On peut se demander si l’approche proposée par le gouvernement canadien est conforme à la déclaration de l’OCDE selon laquelle « aucune taxe sur les services numériques ou autre mesure similaire pertinente nouvellement adoptée ne sera imposée sur quelque entreprise que ce soit à partir du 8 octobre 2021 et jusqu’à la date la plus proche entre le 31 décembre 2023 ou l’entrée en vigueur de la [convention multilatérale] », étant donné que la TSN canadienne s’appliquerait (si elle entrait en vigueur) aux revenus réalisés à partir du 1er janvier 2022. En outre, il existe des différences importantes entre le Pilier Un et la TSN canadienne dont les contribuables devront tenir compte.
En particulier, les taxes s’appliqueraient à différents groupes d’entités en raison des seuils de revenus applicables. Initialement, le Pilier Un ne s’appliquerait qu’aux EMN dont le revenu mondial dépasse 20 milliards d’euros, tandis que la TSN canadienne s’appliquerait aux EMN dont le revenu mondial est égal ou supérieur à 750 millions d’euros. Par conséquent, les EMN qui seraient assujetties à la TSN canadienne, mais qui ne seraient pas concernées par le Pilier Un (moins de 100 EMN devraient être assujetties au Pilier Un), devront faire face à une grande incertitude au cours des deux prochaines années et se préparer à une taxe qui pourrait ou non entrer en vigueur.
La mise en œuvre des Piliers Un et Deux introduira des changements importants dans le système d’imposition des sociétés à l’échelle mondiale. Les contribuables doivent se tenir au courant des développements en cours au Canada (et dans le monde) et comprendre l’incidence de ces changements pour eux. Compte tenu des défis que représente l’élaboration de la convention multilatérale nécessaire à la mise en œuvre du Pilier Un, il n’est pas certain que les échéances proposées seront respectées. Si ces échéances ne sont pas respectées d’ici le 31 décembre 2023, une EMN tirant des revenus de certains services numériques au Canada pourrait être assujettie à la TSN canadienne sur ses revenus à compter du 1er janvier 2022, bien qu’elle ne soit pas payable avant 2024.
1. Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, « Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie » (8 octobre 2021).