Point de vue fiscal : Allègement fiscal relatif aux transferts intergénérationnels de petites entreprises ou de sociétés agricoles familiales ─ comment s’appliqueront les nouvelles règles?

22 juillet, 2021

Numéro 2021-15F


Mise à jour du 22 juillet 2021 : Le 19 juillet 2021, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, a affirmé que le projet de loi émanant d’un député C-208 (voir ci-dessous), qui a reçu la sanction royale le 29 juin 2021, a force de loi et est maintenant en vigueur.* Toutefois, le gouvernement fédéral « a réellement l’intention de présenter des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu qui respectent l’esprit du projet de loi C‑208 » pour s’assurer que la loi facilite les véritables transferts intergénérationnels d’actions, mais aussi protège « contre les échappatoires fiscales imprévues que le projet de loi C‑208 aurait rendues possibles ». Les modifications porteront sur certaines questions, notamment :

  • l’obligation de transférer le contrôle juridique et le contrôle de fait de la société exploitant l’entreprise du parent à son enfant ou à son petit‑enfant, et le niveau de propriété de la société que le parent peut conserver pendant une période raisonnable suivant le transfert;
  • les obligations et le calendrier pour que le parent transfère sa participation dans l’entreprise à la génération suivante, et le niveau de participation de cette génération suivant le transfert.

Les propositions de modifications législatives feront l’objet d’une consultation et les modifications définitives seront instaurées dans un projet de loi et appliquées à la date la plus tardive entre :

  • le 1er novembre 2021; et
  • la date de publication du projet de loi définitif.

Les contribuables touchés par le projet de loi C-208 devraient consulter leur conseiller de PwC pour discuter des mesures à envisager avant le 1er novembre 2021, car des règles plus restrictives pourraient s’appliquer après cette date.

Le reste de ce numéro de Point de vue fiscal a été publié le 23 juin 2021. Il n’a pas été modifié pour tenir compte de l’annonce du ministère des Finances.


* Cette annonce du 19 juillet 2021 remplace le communiqué de presse du ministère des Finances du 30 juin 2021, qui indiquait que le gouvernement fédéral proposait de déposer un projet de loi pour préciser que les modifications du projet de loi C-208 « entreraient en vigueur au début de la prochaine année d’imposition, soit le 1er janvier 2022 ». Cette date du 1er janvier 2022 n’est plus pertinente.

 

En bref

Le 22 juin 2021, le projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale), a franchi l’étape de la troisième lecture au Sénat et devrait recevoir la sanction royale sous peu.

Le projet de loi C-208 est un projet de loi émanant d’un député qui modifie la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (LIR) dans le but d’atténuer le désavantage financier que subissent généralement les contribuables qui choisissent de vendre leur entreprise, leur société agricole ou de pêche familiale à leurs enfants ou petits-enfants plutôt qu’à un tiers sans lien de dépendance. Ce désavantage est causé par certaines règles fiscales, notamment une règle anti-évitement prévu à l’article 84.1 de la LIR. Malgré les efforts déployés par le projet de loi C-208 pour « régler » ce problème, la formulation utilisée dans la loi ne semble pas fonctionner comme prévu et soulève de nombreuses préoccupations qui devront probablement être abordées par le gouvernement par le biais de modifications à la loi.

Le présent bulletin Point de vue fiscal présente les règles actuelles de la LIR, les modifications à la LIR par le projet de loi C-208 et les principales préoccupations et questions que le ministère des Finances devra aborder pour s’assurer que les résultats escomptés de la loi seront atteints.

En détail

Contexte

La LIR renferme actuellement des règles qui peuvent rendre plus avantageux financièrement pour un contribuable de vendre les actions de son entreprise, de sa société agricole ou de pêche familiale à un tiers, plutôt qu’à ses enfants ou petits-enfants. C’est le cas si les actions :

  • sont des actions d’une société agricole ou de pêche familiale (qui répondent à une définition précise); ou 

  • répondent à la définition d’actions admissibles de petite entreprise (AAPE).

La vente d’AAPE ou d’actions de société agricole ou de pêche familiale par un particulier est généralement admissible à l’exonération cumulative des gains en capital (ECGC), qui est actuellement de 892 218 $ (indexée après 2021) pour les AAPE et de 1 million de dollars pour les actions de société agricole ou de pêche familiale. Toutefois, les règles anti-évitement prévues à l’article 84.1 peuvent notamment :

  • empêcher un particulier de demander son ECGC lorsqu’il vend à une société contrôlée par des membres de sa famille; ou

  • augmenter le coût après impôt pour les membres de la famille du financement de l’acquisition des actions lorsque le particulier demande l’ECGC. 

L’article 84.1 vise à limiter ce qu’on appelle le « dépouillement du surplus », c’est-à-dire l’extraction de biens d’une société en franchise d’impôt par le biais de ventes ou de transferts avec lien de dépendance, en traitant comme un dividende ce qui serait autrement un gain en capital sur une vente d’actions à un acheteur (et lorsque le propriétaire, ou un ancien propriétaire, des actions a demandé l’ECGC lors d’une disposition antérieure, le coût des actions aux fins de l’article 84.1 est réduit du montant de cette demande de l’ECGC, de sorte que les transferts en plusieurs étapes ne peuvent éviter le dividende réputé). Par conséquent, la vente d’AAPE ou d’actions d’une société agricole ou de pêche familiale à une partie liée où l’ECGC est autrement disponible (ou avait été demandé auparavant) peut entraîner un traitement fiscal moins favorable qu’une vente à une partie sans lien de dépendance. 

Le projet de loi C-208 vise à limiter l’application de l’article 84.1 dans le cas de certains transferts intergénérationnels d’actions, afin de remédier à l’injustice perçue des règles actuelles. Le projet de loi modifie également l’application de l’article 55 afin de faciliter certaines autres restructurations de sociétés impliquant des entreprises appartenant à des frères et soeurs. 

Modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu

Le projet de loi C-208 modifie l’alinéa 55(5)e) et l’article 84.1 de la LIR. Ces modifications entreront en vigueur à la date de la sanction royale.  

Modification de l’alinéa 55(5)e)

Selon l’actuel alinéa 55(5)e), les frères et sœurs sont réputés ne pas être liés aux fins du paragraphe 55(2). En termes généraux, le paragraphe 55(2) est une règle anti-évitement visant à empêcher la conversion d’un montant qui serait normalement un gain en capital imposable en un dividende intersociétés libre d’impôt.  

L’alinéa 55(5)e) modifié prévoit une exception à cette règle déterminative, de sorte que les frères et sœurs seront liés aux fins du paragraphe 55(2) lorsque « le dividende est reçu ou versé, dans le cadre d’une opération, d’un évènement ou d’une série d’opérations ou d’évènements, par une société dont une action du capital-actions est une… [AAPE] ou une action du capital-actions d’une société agricole ou de pêche familiale », au sens du paragraphe 110.‍6(1). 

Cette modification signifie que le paragraphe 55(2) ne peut plus s’appliquer pour empêcher effectivement certaines réorganisations de sociétés par division avec report de l’impôt impliquant des propriétaires qui sont des frères et sœurs, si les actions des sociétés concernées sont des AAPE ou des actions d’une société agricole ou de pêche familiale. Il est intéressant de noter que la disposition ne précise pas le particulier ou la fiducie à l’égard duquel ou de laquelle les actions doivent être des AAPE (ou des actions d’une société agricole ou de pêche familiale), compte tenu du fait que les actions détenues par une société ne peuvent répondre à la définition pertinente. Par conséquent, il semble qu’il puisse être suffisant que toute action de la société détenue par un particulier ou une fiducie réponde à la définition (bien qu’il ne soit pas clair non plus à quel moment précis la définition doit être satisfaite).

Modifications de l’article 84.1

L’actuel paragraphe 84.1(1) s’applique lorsqu’un particulier ou une fiducie dispose d’actions d’une société (la société en cause) en faveur d’une autre société (l’acheteur) avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance et que, immédiatement après la disposition, la société en cause est rattachée à l’acheteur. Si le paragraphe 84.1(1) s’applique :

  • le capital versé (CV) des actions de l’acheteur émises en contrepartie des actions de la société en cause est limité au plus élevé du CV ou du « coût fiscal réel » (essentiellement le coût moins toute ECGC ou exonération au jour de l’évaluation demandée par des personnes liées à l’égard des actions) des actions de la société en cause moins toute contrepartie autre qu’en actions reçue par le contribuable;

  • le contribuable est réputé avoir reçu un dividende égal à l’excédent de la contrepartie autre qu’en actions sur le plus élevé des deux montants suivants : le CV ou le « coût fiscal réel »  des actions échangées.

L’article 84.1 modifié ajoute l’alinéa 84.1(2)e) et le paragraphe 84.1(2.3). 

Nouvel alinéa 84.1(2)e)

Le nouvel alinéa 84.1(2)e) s’appliquera lorsque :

  • les actions échangées  sont des AAPE ou des actions d’une société agricole ou de pêche familiale;

  • l’acheteur est contrôlé par un ou plusieurs enfants ou petits-enfants (âgés de 18 ans ou plus) du vendeur; et

  • l’acheteur ne dispose pas des actions échangées dans les 60 mois suivant l’achat.

Le cas échéant, le nouvel alinéa 84.1(2)e) fera en sorte que le contribuable et l’acheteur soient réputés n’avoir aucun lien de dépendance, de sorte que le paragraphe 84.1(1) ne devrait pas s’appliquer à la disposition.

Nouveau paragraphe 84.1(2.3)

Le nouveau paragraphe 84.1(2.3) renferme des règles destinées à appuyer le nouvel alinéa 84.1(2)e). L’alinéa :

  • 84.1(2.3)a) énonce certaines conséquences qui doivent se produire si l’acheteur dispose des actions échangées dans les 60 mois suivant l’achat; 

  • 84.1(2.3)b) vise à réduire le montant de l’ECGC prévue aux paragraphes 110.6(2) ou (2.1) lorsque la société en cause a un capital imposable utilisé au Canada qui dépasse 10 millions de dollars; 

  • 84.1(2.3)c) prévoit que « le contribuable doit fournir... [à l’Agence du revenu du Canada (ARC)] une évaluation indépendante de la juste valeur marchande des actions concernées et un affidavit signé par lui et par un tiers attestant de la disposition des actions ».

Préoccupations techniques concernant les nouvelles règles

Bien qu’il semble, d’après le libellé du projet de loi C-208 et les commentaires formulés au cours des débats à la Chambre des communes et au Sénat, que les modifications apportées à l’article 84.1 visaient à s’appliquer à ce que l’on pourrait décrire comme des transferts intergénérationnels « de bonne foi » d’actions de sociétés de « petite » taille (dont le capital imposable ne dépasse pas 10 à 15 millions de dollars), la loi actuelle semble permettre un éventail beaucoup plus large de transferts qui évitent le traitement fiscal défavorable prévu à l’article 84.1. Cela s’explique par le fait que les mesures incluses dans la loi pour prévenir les abus perçus seront probablement largement inefficaces, telles qu’elles sont actuellement rédigées. Par exemple : 

  • La condition selon laquelle l’acheteur doit être contrôlé par des enfants ou des petits-enfants adultes du contribuable cédant n’exige pas que ces enfants ou petits-enfants participent à l’entreprise exploitée par la société acquise ni qu’ils fournissent des investissements ou des apports en capital importants à l’acheteur ou qu’ils participent d’une autre manière au financement de l’achat. En outre, bien que l’acheteur doive continuer à détenir les actions échangées pendant au moins 60 mois, les actions peuvent être des actions privilégiées à valeur fixe (par exemple) sur lesquelles aucun dividende ne doit être versé, de sorte que l’acheteur n’a pas besoin d’avoir un investissement réel continu dans la société acquise. La société mère vendeuse peut continuer à contrôler la société en cause et participer pleinement à toute croissance future de la valeur de l’entreprise.

  • Il est dit que les alinéas du nouveau paragraphe 84.1(2.3) s’appliquent aux fins de l’alinéa 84.1(2)e). Toutefois, pour avoir ce qui semble être l’effet escompté, il faudrait que les règles énoncées dans ces alinéas s’appliquent également à de nombreux autres articles de la LIR sans quoi il est difficile de voir comment ces règles pourraient être efficaces.

  • En raison du caractère inadéquat du nouveau paragraphe 84.1(2.3), il n’y a en fait aucune limite à la « taille » (c.-à-d. au niveau du capital imposable) de la société à laquelle l’allègement prévu à l’article 84.1 s’appliquera. Il n’y a pas de mécanisme d’« exécution » pour obliger un contribuable à fournir une évaluation des actions de la société en cause ni de conséquences apparentes si le contribuable ne le fait pas (et, de toute façon, on ne sait pas très bien ce qui constituerait une « évaluation indépendante » de la valeur et il n’y a pas d’indication quant au moment ou à la façon dont ces renseignements devraient être fournis à l’ARC). 

En général, ce texte de loi n’interagit pas bien avec les règles et le régime actuels de la LIR, et soulève de nombreuses questions et incertitudes quant à la façon dont les nouvelles règles seront appliquées. Ces questions et préoccupations, ainsi que d’autres, devront probablement être abordées par le gouvernement afin de s’assurer que la loi atteigne les objectifs visés.

À retenir

Il est peu probable que ce texte de loi atteigne les objectifs visés par le Parlement sans autres modifications, car il crée des occasions pour les contribuables de « profiter » de ces règles assouplies d’une manière qui n’était probablement pas prévue. Cependant, on ne sait pas avec quelle rapidité les modifications proposées seront déposées par le gouvernement et si elles seront rétroactives. Par conséquent, les contribuables devraient faire preuve de prudence en prenant des mesures immédiates sur la base des règles du projet de loi C-208 dans des situations où les opérations connexes pourraient ne pas être considérées comme représentant un transfert intergénérationnel de bonne foi.

 

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Jean-François Thuot

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