Le ministère de la Sécurité publique fait le point sur la loi canadienne sur l’esclavage moderne

Le 20 décembre 2023, Sécurité publique Canada a publié, sur son site Web mis à jour, des lignes directrices très attendues sur la mise en œuvre de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (la Loi sur la lutte contre le travail forcé).

Le site Web mis à jour contient d’importantes lignes directrices au sujet de la Loi sur la lutte contre le travail forcé, entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Il présente également une nouvelle méthode de soumission de rapports au moyen d’un questionnaire détaillé, ce qui pourrait ajouter une nouvelle dimension au processus de conformité à la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Les entreprises ont tout intérêt à examiner attentivement les lignes directrices et le questionnaire avant de soumettre leurs rapports. Par cette approche proactive, elles s’assureront que leurs rapports et stratégies de conformité répondent aux attentes de l’organisme de réglementation, soit Sécurité publique Canada.

Bien que le site Web fournisse des renseignements détaillés sur l’interprétation de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et la satisfaction de ses exigences, nous nous contenterons ici de mettre en lumière les principaux aspects des lignes directrices. Ces aspects revêtent une importance particulière pour nos clients de divers secteurs, qui doivent comprendre les éléments essentiels de la mise en œuvre de la Loi et des exigences de conformité de celle-ci.

Woman looking concerned at desk with computer

Lignes directrices

Dans la section Préparer un rapport - entités du site Web, on trouve les lignes directrices initiales de Sécurité publique Canada se rapportant à la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Cette section présente l’interprétation de Sécurité publique Canada quant au champ d’application de la Loi et décrit les renseignements à fournir dans les rapports.

Comme nous l’expliquons dans Les implications légales et réglementaires de la Loi fédérale sur l’esclavage moderne, les exigences de production de rapports de la Loi sur la lutte contre le travail forcé s’appliquent généralement aux institutions gouvernementales et aux entités qui :

  • produisent, vendent ou distribuent des marchandises au Canada ou ailleurs;
  • importent au Canada des marchandises fabriquées à l’étranger;
  • contrôlent une entité qui procède à l’une de ces activités.

Les lignes directrices du site Web de Sécurité publique Canada précisent l’interprétation des critères ci-dessus de la Loi sur la lutte contre le travail forcé, notamment en ce qui concerne la mise en contexte de nombreux termes.

  • Les termes « vente », « distribution » et « importation » n’étant pas explicitement définis dans la Loi sur la lutte contre le travail forcé, ils doivent être compris selon leur sens ordinaire. Ces termes n’incluent pas les services de marketing, les services financiers, les services logiciels ou les autres services qui appuient uniquement les activités susmentionnées.
  • Le terme « marchandises » s’entend des biens qui font l’objet d’échanges commerciaux et de commerce, au sens ordinaire du terme.
  • Une entité est considérée comme importatrice de marchandises si elle est responsable de ces marchandises en vertu de la Loi sur les douanes.
  • Bien que la Loi sur la lutte contre le travail forcé ne précise aucun seuil minimal d’application, les termes qu’elle renferme doivent être compris comme excluant les transactions très mineures.
  • La question de savoir si une entité en contrôle une autre peut être déterminée conformément aux normes comptables applicables, mais ne se limite pas à la définition de ces normes. Le contrôle doit être considéré comme une question de substance plutôt que de forme et peut comprendre des situations dans lesquelles une entité exerce le contrôle conjoint d’une opération.

Ces interprétations visent à clarifier le champ d’application de la Loi sur la lutte contre le travail forcé, ce qui donne aux entités une meilleure compréhension de leurs exigences de conformité.

Les lignes directrices ne précisent pas la marche à suivre pour déterminer si une organisation est une entité assujettie aux obligations de production de rapport de la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Selon la définition de la Loi, « entité » s’entend d’une organisation inscrite à une bourse de valeur canadienne ou d’une organisation ayant un lien avec le Canada (c’est-à-dire qu’elle a un établissement au Canada, qu’elle y exerce des activités ou y possède des actifs). Elle doit également remplir au moins deux des trois conditions suivantes pour au moins un de ses deux derniers exercices :

  • elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $;
  • elle a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $;
  • elle emploie en moyenne au moins 250 employés.

Les lignes directrices apportent des éclaircissements sur l’interprétation des critères d’application de la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Mentionnons notamment ces quelques points importants :

  • Toutes les entités devraient être visées par les obligations de production de rapport, que leur siège social soit situé au Canada ou à l’étranger et peu importe où elles exercent leurs activités.
  • Pour déterminer si une organisation est considérée comme une « entité » eu égard à sa présence commerciale au Canada, les lignes directrices suggèrent de suivre les critères de l’Agence du revenu du Canada et d’interpréter les termes selon leur sens ordinaire.
  • Les seuils d’application (valeur des actifs, revenus et nombre d’employés) sont des seuils mondiaux. La valeur des actifs correspond à leur valeur brute et non à leur valeur nette.
  • Au sens de la Loi, le terme « employé » a le même sens que celui de la common law canadienne. Par conséquent, il englobe les employés à temps plein et à temps partiel ainsi que les employés temporaires, peu importe où ils se trouvent, mais exclut les entrepreneurs indépendants.

De l’incertitude persiste toutefois sur certains aspects. Par exemple, les entreprises pourraient interpréter différemment le « sens ordinaire » d’un terme, ce qui pourrait les mener à tirer des conclusions divergentes. Il est par ailleurs difficile de dire si l’importation ou la distribution internes de marchandises au sein d’une organisation sont des activités visées par la Loi sur la lutte contre le travail forcé. En outre, il n’a pas encore été clairement déterminé si les entités constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont tenues de présenter leurs rapports à leurs actionnaires avec leurs états financiers annuels. Les entreprises sont donc laissées à elles-mêmes pour lever ces ambiguïtés et déterminer si la Loi sur la lutte contre le travail forcé s’applique à leurs activités.

Contenu des rapports

Les lignes directrices contiennent des recommandations sur la conformité des rapports aux exigences de format et de contenu de la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Voici les principales recommandations :

  • Longueur des rapports : Les rapports ne doivent pas dépasser 10 pages et leur taille maximale est de 100 Mo.
  • Exigences d’attestation : Un membre du corps dirigeant ayant l’autorité légale de lier l’entité doit fournir une attestation dans le rapport. Dans cette attestation, ce membre doit attester que, après avoir exercé une diligence raisonnable, il confirme qu’à sa connaissance, les renseignements contenus dans le rapport sont vrais, exacts et complets conformément aux exigences de la Loi sur la lutte contre le travail forcé.
  • Production de rapports dans de multiples territoires : Si un rapport produit dans un autre territoire répond aux critères de la Loi sur la lutte contre le travail forcé, il peut aussi répondre aux exigences de production de rapport de la Loi. Il est toutefois important de respecter les exigences relatives au questionnaire.
  • Confidentialité et protection des renseignements personnels : La Loi sur la lutte contre le travail forcé n’exige pas aux entités qu’elles publient des informations commerciales sensibles qui les exposeraient à des risques juridiques ou compromettraient la vie privée d’une personne.
  • Portée des rapports : Les entités ne sont pas non plus tenues de rendre compte de cas particuliers ou d’allégations de travail forcé ou de travail d’enfants. La description des risques de travail forcé et de travail d’enfants déterminés et la description des mesures correctives prises ne doivent pas mentionner des cas, des personnes ou des groupes particuliers.

De plus, les lignes directrices fournissent des précisions sur les sept exigences sur la production de rapport du paragraphe 11(3) de la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Toutefois, il est important de noter que la préparation des rapports est aussi grandement influencée par le nouveau questionnaire de Sécurité publique Canada, dont il est question ci-après.

Questionnaire

Dans le cadre de la récente mise à jour du site Web, le ministère de la Sécurité publique a créé un questionnaire obligatoire pour la présentation de rapports. Ce questionnaire, qui comporte des questions obligatoires et facultatives, s’ajoute aux obligations de production de rapport des entités aux termes de la Loi sur la lutte contre le travail forcé.

Voici les principaux éléments du questionnaire :

  • Introduction : Les organisations doivent préciser en quoi la Loi s’applique à elles, indiquer si elles répondent à la définition d’« entité » et décrire les activités qui ont déclenché une obligation de production de rapport. Cette section est particulièrement pertinente pour les entités qui choisissent de soumettre un rapport par mesure de précaution, lorsque leur obligation de production de rapport est incertaine.
  • Processus de diligence raisonnable et évaluation des risques liés à la chaîne d’approvisionnement : Le questionnaire sert à recueillir des renseignements détaillés sur la manière dont les entités gèrent et évaluent les risques liés au travail forcé et au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement, conformément aux critères de production de rapport de la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Toutefois, le formulaire ne renferme principalement qu’une série de cases à cocher, ce qui limite possiblement la capacité des entités à décrire en détail leurs processus et procédures dans leurs propres termes. Il pourrait être nécessaire d’évaluer si les options fournies reflètent correctement leurs activités.
  • Niveau de détail et format en ligne : Remplir le questionnaire exigera vraisemblablement beaucoup de temps et la participation de divers services de l’entreprise. À l’heure actuelle, le questionnaire est seulement accessible en ligne. Il est possible de consulter les questions dans la section Soumettre un rapport.
  • Comparaison avec d’autres territoires : Cette utilisation d’un questionnaire détaillé détonne par rapport à l’approche des autres pays dotés d’obligations de production de rapport similaires, comme l’Australie et le Royaume-Uni. Les exigences additionnelles imposées par Sécurité publique Canada pourraient nécessiter une attention particulière de la part des entreprises, surtout celles qui doivent soumettre un rapport dans de multiples territoires.

L’approche unique qu’a adopté Sécurité publique Canada met en évidence l’importance pour les entreprises d’évaluer attentivement et d’adapter leurs stratégies de conformité en réponse aux demandes précises de la Loi sur la lutte contre le travail forcé, surtout si elles mènent leurs activités dans divers cadres internationaux. 

Leçons à retenir

Le site Web de Sécurité publique Canada rend clairement compte du caractère exhaustif de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et de son champ d’application large englobant un grand éventail d’entreprises. Le site présente des informations utiles sur l’application de la Loi sur la lutte contre le travail forcé. Les entreprises qui sont tenues de soumettre un rapport en vertu de la Loi doivent impérativement consulter le site Web, particulièrement la section sur les Lignes directrices et le Questionnaire. L’intégration de ces informations à leurs stratégies de conformité est essentielle pour leur permettre de remplir efficacement leurs obligations selon la Loi sur la lutte contre le travail forcé.


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Shelley Gilberg

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