Le secteur bancaire canadien traverse une autre période houleuse. En ces premiers mois de 2024, les besoins en capitaux, l’évolution des risques, les changements réglementaires, les perturbations technologiques et la volatilité macroéconomique continuent de compliquer les plans de croissance des banques canadiennes.
Les perspectives laissent entrevoir peu de signes que ces profondes forces de changement s’atténueront de sitôt. En effet, les dirigeants de banques interrogés dans le cadre de notre dernière Enquête mondiale auprès des chefs de direction nous ont indiqué qu’ils s’attendaient à ce que bon nombre des tendances qui touchent leurs entreprises s’accélèrent au cours de la prochaine année.
Parmi celles-ci, on retrouve les changements technologiques qui, selon 72 % des dirigeants du secteur des banques et des marchés financiers, toucheront leur entreprise dans une grande ou une très grande mesure au cours des trois prochaines années. Il s’agit d’une plus grande proportion que les 64 % qui nous ont dit que ce facteur avait eu une incidence significative lors des cinq dernières années. Comme le démontre le graphique ci-dessous, les dirigeants de banques s’attendent à ce qu’un large éventail de tendances clés s’accélèrent dans l’avenir.
Question : Dans quelle mesure les facteurs suivants ont motivé au cours des cinq dernières années/motiveront au cours des trois prochaines années des changements dans la façon dont votre entreprise crée, livre et capte de la valeur?
Le graphique illustre seulement les réponses « dans une grande mesure » ou « dans une très grande mesure ».
Bien que les banques canadiennes aient pris des mesures pour demeurer à l’avant-garde des tendances disruptives depuis un certain temps, l’accélération du rythme des changements signifie qu’elles doivent saisir d’autres occasions de réinventer non seulement leurs modèles d’affaires, mais également les opérations et les technologies qui leur permettent de les mettre en œuvre. Plus important encore, elles doivent le faire de façon continue, tout en mettant en œuvre et en combinant des initiatives de transformation à grande échelle pour accélérer le changement.
Heureusement, même si de nombreux défis auxquels font face les banques canadiennes sont liés à des facteurs de changement externes, les banques ont aussi la possibilité de les surmonter en se concentrant sur ce qu’elles contrôlent. Nous vous invitons à lire ce qui suit pour connaître les principales mesures que les dirigeants peuvent prendre pour bâtir des banques plus solides dans la foulée de la transformation actuelle et future du secteur bancaire, qui est engendrée par la complexité réglementaire, les pressions financières, les changements technologiques, l’IA générative et les changements climatiques.
La nécessité d’investir dans l’adoption d’une approche plus proactive en matière de risque et de réglementation ne cesse de s’intensifier, les banques canadiennes étant confrontées à un nombre croissant de menaces, de défis et de dangers de plus en plus interreliés. Parmi ceux-ci, on retrouve l’incertitude entourant le marché canadien de l’habitation, le risque de liquidité et les menaces liées à la cybersécurité et à la criminalité financière. Certaines tendances mondiales plus larges entrent également en ligne de compte, comme les tensions et l’instabilité géopolitique, les changements climatiques et les risques liés à l’innovation numérique, qui augmentent la pression exercée sur la gestion des risques des banques canadiennes.
Alors que des risques systémiques plus importants se profilent et que la possibilité d’événements disruptifs d’envergure est en hausse, les banques sont confrontées au besoin croissant d’investir dans la résilience opérationnelle qui leur permettra de résister aux perturbations majeures. Les nouvelles exigences et directives du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) ne font qu’allonger la liste des priorités des banques canadiennes, alors qu’elles doivent composer avec les défis que pose l’arrivée d’acteurs non bancaires moins réglementés dans le secteur des prêts privés et de l’investissement.
Tous ces facteurs soulignent l’importance de rationaliser, de moderniser ainsi que d’affecter et de réaffecter soigneusement les ressources de gestion des risques au sein des banques. Les opportunités à cet égard comprennent :
La rationalisation des contrôles et du nombre de rapports produits, dont certains ne sont peut-être plus nécessaires;
La mise à niveau de l’infrastructure de données et technologique pour créer des systèmes de gouvernance et de contrôle plus connectés, qui réduisent les processus manuels et cloisonnés, augmentent l’efficacité et renforcent la capacité des banques à détecter et à atténuer les risques;
Les répercussions continues des réformes de Bâle III sur les exigences en matière de fonds propres s’avèrent une motivation supplémentaire à la recherche d’utilisations de la technologie pour rationaliser et améliorer la gestion des risques. Bien que les banques canadiennes travaillent sur cette question depuis un certain temps, les règles mettent davantage l’accent sur leur capacité à comprendre rapidement leurs assises financières et à affecter leurs capitaux en conséquence. Il est donc important d’investir dans des systèmes et des technologies de gestion du capital plus souples et plus agiles.
Les banques canadiennes sortent d’une année difficile au cours de laquelle l’ensemble du secteur s’est concentré sur des programmes de rentabilité. Bon nombre d’entre elles cherchent aujourd’hui des occasions de renforcer leur modèle d’affaires et de peaufiner leurs stratégies afin d’améliorer leur performance financière et leur croissance. Alors que de nouvelles pressions se profilent à l’horizon, le moment est propice pour prendre du recul afin de déterminer les principaux domaines sur lesquels elles peuvent agir et de gérer les coûts de façon plus ciblée, tout en réaffectant les ressources sur les principales priorités de croissance.
Pour renforcer la rentabilité, il faut devancer les nouveaux acteurs sur le marché, qui utilisent davantage la technologie, en poursuivant la numérisation des domaines clés des banques, dont les opérations de détail. Bien que les banques canadiennes aient investi dans la numérisation des canaux de libre-service au cours des dernières années, nombre d’entre elles n’ont pas encore transformé l’ensemble de leurs processus. En fait, plusieurs de ceux-ci sont encore fragmentés et basés sur le papier, et obligent les clients à se rendre en succursale pour certaines activités. Les banques ont donc l’occasion d’investir davantage dans des expériences plus simples, automatisées et alimentées par la technologie, qui leur permettront de se démarquer auprès des clients actuels et potentiels.
Les services aux entreprises, qui sont généralement sous-déployés – bien que de nouveaux venus s’intéressent à ce secteur –, constituent l’un des segments que les banques devront cibler pour leur croissance. Les occasions y sont nombreuses d’offrir des outils numériques et en libre-service, notamment pour la gestion de la trésorerie, les dépôts et les prêts. Pour poursuivre leur croissance dans ce segment, les banques devront se concentrer sur la rentabilité de la clientèle, afin de pouvoir identifier leurs clients principaux, répartir les capitaux en conséquence et offrir des services et des expériences plus rentables. La gestion d’actifs et de patrimoine, qui est également peu déployée, s’avère aussi un secteur de croissance pour les banques. Elles ont la possibilité de créer une gamme plus vaste de produits, également avec des outils en libre-service mieux intégrés, qui ciblent la cohorte croissante des investisseurs particuliers fortunés du Canada.
Les banques canadiennes ont encore du chemin à faire pour exploiter le plein potentiel de la technologie afin d’améliorer leur rentabilité, d’attirer et de fidéliser des clients, de composer avec la complexité de la réglementation et de renforcer leurs modèles d’affaires. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. En effet, après une série de tentatives, leurs investissements technologiques n’ont mené qu’à de la frustration, en raison de délais plus longs, de coûts plus élevés que prévu et de résultats en deçà des attentes. Bien que l’infrastructure existante puisse expliquer une partie de la situation, d’autres enjeux freinent les efforts de transformation.
Alors que la pression sur les budgets technologiques est en croissance et que des données sur le secteur indiquent que 75 % des programmes technologiques des grandes banques échouent, il est encore plus important que les acteurs du secteur misent non seulement sur des technologies innovantes, mais aussi sur une exécution sans faille. Comme des milliards de dollars d’investissements technologiques sont en jeu, même une modeste amélioration des résultats de mise en œuvre, à hauteur de 5 à 10 %, pourrait permettre à une banque de se démarquer sensiblement de ses pairs au chapitre de l’efficacité opérationnelle. Les banques peuvent accroître leurs chances de réussite en suivant ces quatre principes clés :
Prévoir et provoquer l’échec. Les entreprises obtiennent des résultats plus concluants lorsqu’elles espèrent le meilleur mais se préparent au pire, grâce à des approches comme la programmation défensive, la mise en place d’un plan de secours et les tests de reprise. Emprunter les concepts d’organisations qui prévoient et provoquent délibérément l’échec est une pratique exemplaire dans le cadre des transformations complexes.
Adopter des pratiques fondées sur les données. Les banques ont réalisé d’importants investissements dans les mégadonnées liées à l’information sur les clients et à l’analyse de celles-ci, mais peu d’entre elles ont adopté une telle approche analytique pour leurs propres pratiques de mise en œuvre. Or, notre expérience a démontré que les entreprises qui prennent le temps de codifier leurs propres données sur la mise en œuvre bénéficient de renseignements riches et exploitables qui peuvent les aider à prévoir les défis et à y faire face avant qu’ils ne surviennent.
Favoriser la transparence. Les équipes technologiques qui obtiennent du succès peuvent compter sur un leadership qui encourage la transparence et un dialogue honnête sur l’état d’avancement du projet et la nécessité d’intervenir lorsqu’il se dirige vers l’échec. La clé pour les banques consiste donc à vérifier si leur structure incitative favorise cette transparence essentielle.
Miser sur l’efficacité opérationnelle. Bien que les dernières fonctionnalités pour les clients, l’entreprise ou la numérisation des processus soient au cœur des objectifs de chaque projet, les meilleurs spécialistes de la technologie s’attardent tout autant sur la résilience de ce qu’ils mettent en place. Les piles technologiques toujours plus complexes que les institutions financières mettent en place et achètent nécessitent une surveillance et des plans de reprise qui ne peuvent être planifiés après coup. Il est également essentiel d’impliquer les équipes des opérations technologiques dès les premières étapes du cycle de développement, afin de concevoir et de préparer leur rôle en matière de prestation de services.
Les banques canadiennes peuvent également tirer profit de l’examen des pratiques des plus grandes sociétés technologiques du monde, qui se concentrent non seulement sur les dernières innovations comme l’IA générative, mais également sur les principes fondamentaux de l’ingénierie et de la mise en œuvre. Ce n’est pas un hasard si ces entreprises comptent des spécialistes de la technologie aux plus hauts échelons de leur structure, qui préconisent les normes les plus élevées en matière de pratiques d’ingénierie. Nous croyons que les banques canadiennes peuvent s’inspirer de leurs succès en rehaussant le rôle du responsable des TI pour qu’il relève directement du chef de la direction. Ce faisant, la technologie deviendrait un impératif d’affaires essentiel, le conseil d’administration pourrait mieux surveiller les capacités de transformation et d’exécution de la banque et le responsable des TI disposerait des moyens nécessaires pour poursuivre l’adoption d’innovations qui améliorent les résultats d’exécution et transforment la mise en œuvre de technologies en véritable source d’avantages concurrentiels.
L’IA générative est l’une des technologies auxquelles les dirigeants du secteur bancaire canadien accordent une attention particulière, car elle a le potentiel de transformer considérablement le mode de fonctionnement des banques du pays. En effet, elle peut être utile pour redéfinir les processus de travail et réaliser des gains d’efficacité dans des domaines clés comme les centres d’appels et le développement de logiciels. Nous avons constaté cet intérêt dans notre Enquête mondiale auprès des chefs de direction, puisque 67 % des participants du secteur des banques et des marchés financiers ont affirmé que l’IA générative augmentera l’efficacité des employés. Outre les possibilités considérables qu’elle offre en matière de gestion des coûts, l’IA générative présente également d’autres avantages aux banques canadiennes, notamment une augmentation des ventes grâce à une plus grande personnalisation de leurs services.
Jusqu’à présent, les banques canadiennes ont adopté une approche mesurée alors qu’elles évaluent consciencieusement les risques en cause – comme les atteintes à la cybersécurité, la responsabilité juridique et les biais – et qu’elles surveillent les directives réglementaires qui façonneront leur stratégie en la matière. La prudence à l’égard d’une adoption à grande échelle est justifiée, car les conséquences d’une défaillance d’un outil d’IA générative peuvent être très importantes. Entretemps, elles se concentrent sur l’application de l’IA générative aux processus internes, ce qui leur permettra de mieux comprendre la technologie et de commencer à tirer profit des gains d’efficacité qu’elle génère.
Pour bien équilibrer les risques et les opportunités, les banques devront investir dans une solide gouvernance des données, ainsi que dans des pratiques de surveillance et de gestion de l’IA générative. Le rehaussement au sein de la structure de l’entreprise du rôle des principaux acteurs impliqués dans son adoption, notamment le responsable des données et de l’analytique, s’avère une occasion pour les banques canadiennes d’accélérer les progrès de la transformation axée sur l’IA générative. Une telle mesure contribuera à renforcer les pratiques de gouvernance de l’IA générative et permettra de choisir des cas d’utilisation de plus grande envergure, qui offriront plus d’avantages dans l’ensemble de l’organisation.
Le discours sur les changements climatiques dans le secteur bancaire a évolué rapidement, et des mesures ont été prises. Le degré de sophistication des rapports des banques canadiennes sur les questions d’environnement, de société et de gouvernance (ESG), comme les changements climatiques, a considérablement augmenté, même depuis à peine un an. Et les dirigeants nous disent qu’ils prennent des mesures clés pour soutenir leurs objectifs. En effet, 60 % des chefs de direction de banques qui ont participé à notre récente Enquête mondiale auprès des chefs de direction affirment qu’ils avaient mis en œuvre des initiatives visant à utiliser de nouveaux produits ou services innovants et respectueux de l’environnement, ou qu’ils étaient en train de le faire.
Tout cela survient alors que les banques canadiennes sont confrontées à une surveillance, à des attentes et à des exigences accrues en matière de changements climatiques. Dans le cadre de leurs programmes de lutte contre les changements climatiques en 2024, les banques doivent notamment :
se préparer à se conformer à la ligne directrice B-15 du BSIF sur la gestion des risques climatiques;
mesurer leurs progrès par rapport aux cibles provisoires de réduction des gaz à effet de serre, une tâche imminente pour les banques qui se sont fixé des objectifs pour 2025;
s’assurer qu’elles disposent de plans de transition climatique crédibles qui définissent la manière dont elles atteindront leurs objectifs climatiques;
se positionner pour tirer profit des opportunités commerciales créées par la transition climatique, notamment en aidant à combler l’écart entre le montant du capital requis pour permettre aux organisations de tous types d’atteindre leurs objectifs de carboneutralité et les fonds alloués à l’échelle mondiale jusqu’à présent;
clarifier leur utilisation de la finance durable, en particulier son lien avec leurs objectifs de décarbonation;
mesurer plus efficacement les impacts physiques des changements climatiques sur leurs activités, et intégrer ces risques dans leur planification financière.
Les plus grandes banques canadiennes ont déjà réalisé des progrès importants dans ces domaines, alors que les plus petites institutions financières en sont peut-être aux premières étapes du processus. Cela dit, même pour les plus grandes banques, il y a encore du chemin à faire, comme se préparer à faire face aux normes plus strictes, à un examen encore plus minutieux et à des appels à une plus grande transparence concernant leurs données ESG et la divulgation de celles-ci. Celles qui investissent davantage dans le renforcement de leurs contrôles, processus et gouvernance en matière de rapports ESG seront mieux placées pour prendre des mesures éclairées soutenant leurs objectifs climatiques, présenter de façon convaincante leurs plans et leur performance et tirer parti des occasions du marché pour aider à financer la transition énergétique.