Andrew Dooner : Bonjour, et bienvenue à la série de balados « CEO Viewpoints » de PwC Canada, où nous discutons de thèmes clés et de la perspective canadienne de notre 26e Enquête annuelle mondiale auprès des chefs de direction. Je m’appelle Andrew Dooner, je suis associé de l’équipe mondiale Stratégie d’entreprise de PwC, et je serai votre hôte pour cet épisode. Merci beaucoup de vous joindre à nous. Cette année, notre enquête menée auprès des chefs de direction porte sur un enjeu crucial pour les dirigeants d’aujourd’hui, à savoir comment trouver un équilibre entre la réinvention de l’entreprise pour qu’elle réussisse dans un monde en constante évolution et la gestion des pressions et des défis à court terme. Examinons donc ce sujet plus en détail avec notre invitée de Vancity, la plus grande coopérative de crédit du Canada. Comptant plus de 560 000 membres propriétaires et 34 milliards de dollars d’actifs, Vancity et ses membres utilisent les finances comme moteur de changement pour créer un monde propre et équitable. Aujourd’hui, j’ai le bonheur d’accueillir ici à Vancouver Christine Bergeron, chef de la direction de VanCity. Bonjour, Christine. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous.
Christine Bergeron : Merci de m’avoir invitée.
Andrew Dooner : Christine, aujourd’hui, vous êtes la chef de la direction de Vancity. Je pense qu’il est important de connaître votre parcours pour devenir chef de direction. Pouvez-vous nous en parler un peu?
Christine Bergeron : Bien sûr. Je travaille dans le secteur des finances depuis probablement près de 25 ans maintenant, mais j’ai en fait commencé comme investisseuse en capital de risque. J’investissais dans les technologies propres et, initialement, dans les piles à combustible et la technologie de l’hydrogène. Donc je faisais beaucoup d’allers-retours entre la Colombie-Britannique et Silicon Valley. Puis, j’ai changé de projet pour gérer un fonds de couverture, car je voulais comprendre les marchés publics, encore une fois avec un intérêt pour la durabilité. Ces deux rôles dans ma carrière m’ont vraiment apporté une vaste expérience, parce qu’il s’agissait de sociétés qui en étaient à leurs débuts. J’y ai donc porté de nombreux chapeaux et ai véritablement eu affaire avec le vaste ensemble de paramètres en jeu, contrairement à ce qu’on peut voir quand on se joint à une organisation en tant qu’analyste, par exemple, même si on est très qualifié. J’ai eu de la chance et j’ai saisi des opportunités de faire les choses un peu différemment. Puis, je me suis jointe à Vancity il y a 12 ans, au départ pour aider à mettre sur pied un fonds d’investissement d’impact. Ça ne s’est pas tout à fait passé comme nous le voulions à l’époque. Peu de gens parlaient d’investissement d’impact à l’époque, mais nous avons fini par créer ce fonds plus tard. Dans l’intervalle, j’ai occupé différents postes de direction, œuvrant auprès des entreprises, des services bancaires, de gestion du patrimoine, d’immobilier commercial et d’un ensemble disparate d’entités. Donc, j’ai alterné entre les secteurs d’activité et je me suis aussi occupée de la stratégie d’investissement d’impact – des éléments au cœur de la coopérative de crédit –, puis j’ai assumé les fonctions de chef de la direction par intérim et, enfin, chef de la direction permanente durant la pandémie de COVID-19. Voilà donc un aperçu rapide de mon parcours.
Andrew Dooner : Une chose qui pourrait être utile à nos auditeurs, c’est si vous décriviez Vancity, ce qu’elle fait et ce qu’elle représente. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Christine Bergeron : Nos priorités sont les personnes, la planète et la réalisation de bénéfices. Je crois que cela résume bien l’entreprise. Nous plaçons les gens au centre. Nous devons assurer la durabilité à long terme. Et ultimement, notre point de vue est qu’en tant qu’organisation, c’est que nous ne réussissons que si les collectivités et les entreprises locales sont elles aussi prospères. Nous nous efforçons donc d’aider les personnes qui sont généralement mal servies, ce qui consiste en fait à placer les gens au centre.
Andrew Dooner : Chaque année, nous discutons avec des centaines de chefs de direction à l’échelle mondiale au sujet de leurs perspectives sur les économies mondiales et locales, des risques et des opportunités qu’ils entrevoient et de la manière dont ils aident leurs organisations à trouver un véritable équilibre entre bâtir l’avenir et gérer le présent. Cette année, lorsque nous avons réalisé notre enquête mondiale auprès des chefs de direction, la notion d’incertitude macroéconomique et les difficultés qu’elle présente pour les équipes de direction se sont imposées comme thèmes principaux. J’aimerais bien savoir comment vous aidez votre équipe et comment vous et votre équipe naviguez dans cet environnement d’incertitude croissante.
Christine Bergeron : Eh bien, il y a certainement de l’incertitude et beaucoup de volatilité. Premièrement, nous abordons ces enjeux probablement comme beaucoup d’autres le font, c’est-à-dire en élaborant des scénarios, en pensant à protéger le court terme, et ultimement en pensant au long terme, car on peut facilement se concentrer uniquement sur les 12 à 18 prochains mois – qui sont bien sûr importants –, mais si on fait cela sans avoir une perspective à long terme, on n’atteindra pas nos objectifs. Et ça, c’est difficile, n’est-ce pas? Il faut trouver du temps pour le faire. Deuxièmement, il faut savoir naviguer dans cet environnement en tant que personnes, en tant qu’équipes de direction, car il faut cadencer notre énergie. Et la pandémie de COVID a été très intense pour de nombreuses équipes de direction, qui ont dû déterminer comment nous pouvons nous soutenir les uns les autres tandis que nous pensons à ces défis à court terme tout en adoptant, d’accord, une stratégie à long terme pour atteindre nos objectifs.
Andrew Dooner : Christine, beaucoup de chefs de direction avec lesquels nous échangeons chaque année dans le cadre de notre enquête annuelle soulèvent un certain nombre de préoccupations différentes. Cette année, l’une des préoccupations les plus évidentes, pour plus de 40 pour cent de nos répondants, a été la diminution de la viabilité économique. Beaucoup de chefs de direction avec qui nous avons discuté pensent que leur entreprise pourrait ne pas être viable d’ici 10 ans si elle ne procède pas à une certaine transformation. Nous parlons un peu de tendances macroéconomiques, mais je voudrais savoir ce que vous pensez de cette conclusion de notre enquête et comment vous et votre équipe abordez ce problème.
Christine Bergeron : Dans le cas de Vancity, notre modèle de base est vraiment axé sur les besoins de nos membres et sur notre impact sur les collectivités. Donc ce modèle tient la route et nous pensons qu’il continuera à le faire. Je réfléchis à cet enjeu de deux manières. Tout d’abord, quelle est notre mission? Est-ce qu’elle est toujours valide? Et donc, en pensant à Vancity, je me demande toujours ce qui se passerait si nous n’existions pas. Quelqu’un s’en soucierait-il? D’une part, nous nous disons qu’il y a de grandes banques et d’autres endroits où obtenir des services financiers. Mais nous savons que nous avons fait beaucoup de travail à cet égard. Nous savons que les collectivités dans lesquelles nous travaillons et servons des membres perdraient certainement quelques soutiens clés; elles perdraient certains financements et réseaux importants. Et, en fait, beaucoup de gens qui se procurent des services financiers chez nous pourraient ne pas parvenir à en obtenir ailleurs ou devoir en obtenir de différents, car nous proposons des programmes de microprêts qui nous permettent de soutenir les petites entreprises, et nous essayons toujours d’innover pour nous assurer que les gens bénéficient de services bancaires adéquats, par exemple en obtenant le bon crédit, etc. Nous pensons en fait que notre absence laisserait un vide à combler. Donc, notre mission tient la route, ce qui est une bonne chose. D’autre part, il faut penser aux mesures et aux stratégies en place pour le long terme, dans le but de continuer à nous adapter et à offrir ce dont les membres ont besoin, afin de nous assurer que nous avons la rentabilité nécessaire à long terme. Nous devons complètement adapter nos offres numériques, nos processus et notre stratégie face aux nouveautés comme le système bancaire ouvert, l’évolution des besoins des membres, les marques, les centres d’appels en ligne. Comment faire tout cela? C’est beaucoup de transformations pour une organisation. Vous savez, d’un côté, c’est une continuation, car il ne s’agit pas là de tendances nouvelles, mais faire cela demande beaucoup d’efforts. Nous devons donc continuer à adapter ces stratégies afin d’être en bonne posture pour servir nos membres dans dix ans.
Andrew Dooner : Christine, si vous me le permettez, je crois que Vancity est reconnue sur le marché comme étant une organisation investie d’une mission. J’aimerais bien savoir ce que cela signifie pour vous et pour votre équipe?
Christine Bergeron : Je vais commencer par donner un peu de contexte, parce que Vancity est une organisation investie d’une mission depuis sa fondation. Au fil des décennies, Vancity a toujours reposé sur quelques piliers clés liés à l’inclusion sociale, à la durabilité environnementale et aux principes de coopération. Ces piliers ont évolué, bien sûr, à la lumière des changements dans ces domaines et des principaux enjeux auxquels la société est confrontée en ce moment. Mais ceux-ci n’ont pas changé de manière considérable. C’est pourquoi nous avons eu tant de premières au fil des décennies; il s’agit d’évaluer l’environnement externe et ce qu’il signifie à l’heure actuelle du point de vue de notre mission. Je pense qu’au bout du compte, il faut éliminer l’idée que ces éléments sont distincts; qu’ici on essaie d’avoir un impact sur la communauté et ici on essaie de gagner de l’argent. Il faut adopter une approche intégrée tenant compte des personnes, de la planète et des bénéfices. On doit y réfléchir en recherchant un réel équilibre. C’est ce que nous faisons dans toutes nos décisions d’affaires, qu’elles aient trait aux activités, au recrutement ou à l’approvisionnement. Nous adoptons cette perspective dans toutes ces décisions et c’est pourquoi, au fil des ans, nous avons continué à présenter de l’information à l’égard de ces sujets. La communication de cette information est intégrée à nos activités depuis un certain temps. Nous produisons des rapports liés aux changements climatiques, car ils sont tout aussi importants pour nos états financiers. Le climat et les finances vont de pair. En ce sens, les chiffres sont évidemment différents par rapport aux autres aspects, mais il faut éliminer cette idée qu’il s’agit d’éléments distincts et que votre rôle se limite à faire des dons. Ces enjeux sont réellement intégrés à notre stratégie d’affaires.
Andrew Dooner : J’aimerais poser une question de suivi à ce sujet. Estimez-vous que votre point d’ancrage, soit le fait d’être une organisation investie d’une mission, vous aide à rester pertinents en périodes de changements, ou cela limite-t-il votre capacité à être flexibles et à évoluer?
Christine Bergeron : Je pense que cela nous permet de rester concentrés sur notre raison d’être et par ricochet sur les raisons pour lesquelles nous devons nous transformer. Nous existons pour répondre à un besoin sur le marché. Et ce besoin a évolué au fil des décennies, depuis que Vancity a vu le jour. Vous savez, l’entreprise exerce ses activités depuis maintenant plus de 76 ans et, malheureusement, il continue d’y avoir des problèmes sociaux et environnementaux, qui ont certes évolué, mais qui nécessitent toujours notre attention et nos efforts. Je pense donc que ce point d’ancrage nous aide à garder le cap. Bien sûr, il y a toujours des contraintes dans le secteur dans lequel on exerce nos activités, mais je ne pense pas que notre mission crée des contraintes. Je pense plutôt qu’elle nous aide certainement à rester concentrés.
Andrew Dooner : Quels conseils donneriez-vous aux personnes ou équipes qui souhaitent miser davantage sur leur mission en tant qu’organisation?
Christine Bergeron : Mon approche consiste à toujours prendre du recul et à réfléchir aux leviers que vous avez au sein de votre organisation et de votre secteur. Que pouvez-vous faire pour avoir un impact sur votre collectivité? Quelle est votre mission? Par exemple, dans le cas de Vancity, même si nous sommes investis d’une mission, nous devons toujours prendre du recul de temps à autre et nous demander quels sont nos leviers actuels et à quels éléments nous devons accorder notre attention. Nous offrons du financement à d’autres. Notre levier est donc lié à nos prêts et à la gestion de patrimoine. Dans d’autres secteurs, le levier est beaucoup plus spécifique; il est peut-être lié à la chaîne d’approvisionnement. Il pourrait être davantage axé sur les différentes parties prenantes et la collectivité. Je crois que cette approche est un bon point de départ, parce que souvent les gens disent qu’ils ne savent pas par où commencer. Il y a beaucoup à faire, comment peut-on savoir comment s’y prendre? Et d’après mon expérience et mon travail auprès de beaucoup d’autres organisations, le meilleur moyen d’y arriver est de réfléchir aux principaux leviers qui font en sorte que vous avez un impact.
Andrew Dooner : Que ce soit à l’échelle mondiale ou simplement à l’extérieur des murs de cette tour de bureau, nous voyons un éventail de ce que j’appelle des signaux contradictoires sur les plans économiques, géopolitiques, sociaux et environnementaux. Il y a beaucoup de signaux contradictoires quant à ce qui se passe à domicile et à l’étranger. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet. Sommes-nous sur la bonne voie?
Christine Bergeron : Sommes-nous sur la bonne voie? C’est toute une question. En voyant toutes les données propres au climat, il serait difficile d’affirmer que nous sommes sur la bonne voie, mais je ne voudrais pas non plus donner une réponse négative, parce que je pense que des progrès importants ont été réalisés et qu’il faut du moins les reconnaître. Il y a dix ans, ces discussions, ces sujets et la compréhension de ces enjeux n’étaient certainement pas des préoccupations importantes pour le monde des affaires. Donc, il y a eu des changements considérables à cet égard. Devons-nous continuer à nous pencher sur ces questions? Tout à fait. Faut-il accélérer la cadence? Je dirais que oui, surtout en ce qui concerne le climat. Bien sûr, le climat n’est pas différent de tous les autres enjeux, mais il est un peu plus facile à mesurer que certains éléments sociaux. Toutefois, il faut penser au climat dans une perspective plus vaste pour s’assurer que des gens ne sont pas laissés pour compte; chose à laquelle nous accordons beaucoup d’importance. Donc si je devais prodiguer un conseil, je dirais : allez plus vite, déployez plus d’efforts, intégrez davantage cet enjeu à vos activités. En fait, mon conseil ne vise peut-être pas uniquement les dirigeants d’entreprise, mais aussi les gens qui détiennent des actions, les actionnaires des entreprises et les consommateurs. Nous en sommes à un point décisif : les gens exigent de plus en plus de changements. Vous savez, vous portez beaucoup de chapeaux en tant que personnes. Vous êtes des citoyens et vous votez. Vous êtes des consommateurs, vous êtes des actionnaires, vous avez des placements et vous jouez un rôle dans une entreprise. Même si vous n’êtes pas un chef de la direction, vous êtes un employé qui peut faire une différence. Et donc je pense que mon principal conseil serait : utilisez chaque chapeau que vous avez, utilisez chaque levier et continuez d’aller de l’avant.
Andrew Dooner : Vous avez mentionné au cours de notre entretien le besoin de s’assurer que les gens participent au changement et le fait que certaines personnes pourraient être laissées pour compte dans la transition. J’aimerais bien obtenir votre avis sur certains des risques que vous entrevoyez dans le cadre de votre travail quotidien et quand vous et votre équipe réfléchissez à l’avenir, en ce qui concerne ces personnes qui seront laissées pour compte.
Christine Bergeron : Nous réfléchissons beaucoup à cet enjeu parce qu’il est facile d’y penser. Par exemple, comment pouvons-nous trouver un moyen d’aider les gens à acheter un véhicule électrique? Il y a beaucoup d’hypothèses qui entrent en jeu. Quel est votre niveau de revenus, possédez-vous un véhicule et utilisez-vous les transports en commun ou pas? Qu’est-ce que cela implique? Ce genre d’exercice a tendance à aider certaines personnes qui ne sont toujours pas entièrement et correctement représentées au sein des pouvoirs décisionnels. Nous sommes une coopérative de crédit comptant des membres issus de tous les groupes démographiques – si on tient compte des niveaux de revenus, des groupes d’âge et des origines raciales, on constate une grande diversité –, et nous réfléchissons donc à ce que nous pouvons proposer comme innovations et comme soutien sous la forme de produits qui contribueront à créer un environnement plus inclusif. Et nous avons donc fait certaines petites choses pour voir si nous pouvons faire mieux à cet égard, comme offrir aux gens une consultation gratuite sur la façon d’améliorer l’efficacité énergétique de leur demeure. Toutefois, une telle consultation serait utile aux propriétaires de maisons, mais pas nécessairement aux locataires de logements. Alors, comment pouvons-nous soutenir les constructeurs des immeubles de logements pour parvenir au net-zéro? Nous examinons donc différents programmes pilotes net-zéro avec les promoteurs immobiliers. Pour ce qui est du côté sans but lucratif du logement abordable, comment pouvons-nous continuer à réfléchir à un logement abordable à l’épreuve des changements climatiques et réunir tous les éléments? En fait, beaucoup de collectivités et de gens formidables pensent à ces choses aussi et nous disent si ce que nous essayons de mettre de l’avant fonctionne ou non. En omettant de tenir compte de cet enjeu, un très grand pourcentage de la population pourrait ne pas être en mesure de s’adapter. Récemment, nous avons mené des études qui révèlent qu’en Colombie‑Britannique, une personne sur trois a été touchée par des événements liés au climat au cours des deux dernières années. Quand on y pense, nous avons eu des inondations, des îlots de chaleur, des incendies. Ce n’est donc pas si surprenant. Et parmi eux, plus de 50 pour cent, ressentent un stress financier élevé. Le stress financier élevé est, vous savez, un point de basculement. On ne parle pas de stress financier élevé à moins d’approcher de la limite. La préoccupation est donc la suivante : que vont faire les personnes qui n’ont pas les moyens de s’adapter aux événements liés au climat qui continuent de se produire? Vous verrez que ce sont ceux qui ont moins de moyens financiers qui sont les plus touchés. Nous continuons donc de réfléchir à la manière dont nous pouvons faire de notre mieux et faire notre part pour au moins réduire au minimum ces impacts.
Andrew Dooner : L’une des choses que nous avons observées dans le cadre de nos enquêtes auprès des chefs de direction au fil du temps est l’importance changeante de ce que certains appellent le programme ESG. Un argument mis de l’avant est que, parfois, les gens perçoivent les facteurs ESG ou le climat davantage comme un bien de luxe. Quand l’économie est forte, c’est le moment propice pour agir. À la lumière de vos interactions avec vos pairs, les autres chefs de direction, avez-vous le sentiment que cette fois-ci c’est différent? Sommes-nous ailleurs aujourd’hui?
Christine Bergeron : Je pense que c’est un peu différent cette fois. Voici pourquoi je pense ainsi, même si d’autres pourraient ne pas être d’accord. Je pense que si on parle de facteurs ESG de manière générale, qu’on utilise le terme pour tout et pour rien, alors ceux-ci deviendront la tendance, une mode passagère qui sera politisée, ce qui n’est pas utile. Je pense que le concept d’ESG a toujours été axé sur un cadre de gestion des risques, sur l’évaluation des risques environnementaux, sociaux, et de gouvernance qui influencent la performance financière d’une entreprise. Et je crois que cette méthodologie a réellement pour but de réduire au minimum les risques dans l’ensemble. Il n’a jamais vraiment été question de déterminer le degré d’impact ou l’impact positif que vous avez réellement dans le monde. Les gens semblent donc utiliser le terme ESG de diverses façons, comme pour faire allusion à leur stratégie ESG plutôt qu’au cadre de gestion des risques. Je pense que les choses sont un peu différentes maintenant, car par exemple, à l’échelle internationale, les gens présentent de l’information sur les facteurs ESG et sont assujettis à une réglementation à leur égard. Les gens constatent les risques de transition physiques liés au climat. Nous en ressentons les impacts. Comme je l’ai dit plus tôt, une personne sur trois est directement touchée par ces impacts. Alors, cela justifie d’autant plus un changement, non? Quand les gens commencent à comprendre le concept très abstrait des changements climatiques, qu’ils sont touchés directement par ces changements, puis ils se disent « Ah, je comprends maintenant ». Du point de vue des affaires, je crois qu’il faut penser au long terme pour votre entreprise sans omettre de tenir compte du risque climatique comme un des grands risques, et je serais étonnée qu’une entreprise ne le fasse pas, compte tenu des données que nous voyons et des impacts que nous observons. Je pense donc que les choses sont un peu différentes en raison des normes internationales qui voient le jour, des réglementations qui entrent en vigueur, tandis que les institutions financières doivent commencer à divulguer les émissions qui vont se répercuter sur les entreprises. Et comment peuvent-elles elles-mêmes faire ces divulgations, à un niveau plus précis? Maintenant, est-ce que les divulgations et la communication de l’information nous permettent d’opérer le changement nécessaire? Pas à elles seules. Elles permettent simplement de connaître les risques. Mais encore une fois, en tant que dirigeants, qu’organisations, que chefs de direction et que citoyens, vous pensez maintenant à ces enjeux à plus long terme. Maintenant que vous connaissez ces risques, que faites-vous pour les atténuer? Je crois donc que c’est différent aujourd’hui. Ce ne sont pas les mêmes personnes à la table ni les mêmes discussions qu’il y a dix ans.
Andrew Dooner : Alors, Christine, souvent, on semble penser qu’être une organisation investie d’une mission ou axée sur les facteurs ESG et une organisation rentable sont des idées opposées. Quel est votre point de vue à cet égard et comment vous et votre équipe abordez-vous cette contradiction?
Christine Bergeron : Je pense que c’est là que nous sommes probablement un peu différents, car nous ne croyons pas qu’il s’agisse d’idées opposées. Lorsque vous réfléchissez à votre prise de décision du point de vue organisationnel, vous voyez habituellement des membres de l’équipe plus productifs et plus mobilisés. Lorsque vous réfléchissez à toutes les différentes parties prenantes de votre organisation, si vous portez attention à chacune d’elles, y compris à l’environnement – et dans notre cas, à nos membres –, ainsi qu’à d’autres facteurs en cours de route, comme votre chaîne d’approvisionnement, etc., votre entreprise s’en portera mieux. De plus en plus d’études le démontrent à long terme. Du point de vue des rapports trimestriels, je suis pleinement consciente que nous ne sommes pas une société ouverte. Nous n’avons pas de rapports trimestriels à produire. Je reconnais pleinement la complexité supplémentaire d’une société ouverte. D’une certaine manière, nous avons de la chance de ne pas avoir cette obligation. Certains de nos membres expriment très clairement ce qu’ils veulent de leur coopérative de crédit; ils veulent qu’on les serve, évidemment, qu’on leur procure des produits financiers très solides et qu’on contribue aux collectivités dans lesquelles ils vivent et travaillent. Donc, pour nous, il ne s’agit pas d’idées opposées. Est-ce que cela signifie que nos décisions sont parfois plus complexes? Certainement. Ayant travaillé au sein d’organisations et géré un fonds de couverture, je sais ce que signifie avoir le profit comme principal objectif. La prise de décisions est parfois plus simple que quand vous devez vraiment essayer de penser à tous les aspects et aux personnes touchées. Plus tôt, je disais justement que nous réfléchissons de manière générale dans le cadre de nos décisions concernant l’approvisionnement et les avantages pour les employés, par exemple; il faut toujours trouver l’équilibre. Donc, devons-nous gagner de l’argent? Absolument. Devons-nous assurer notre durabilité à long terme? Oui. Nous devons le faire pour réinvestir dans la technologie afin de donner à nos membres ce dont ils ont besoin. Mais il ne s’agit pas de maximiser les bénéfices à tout prix. Et je pense que les gens ne comprennent pas toujours cette subtilité, parce que parfois ils pensent que nous sommes un organisme sans but lucratif, ce qui n’est pas le cas. Nous avons besoin de gagner de l’argent, et nous devons en gagner assez pour réinvestir et donner en retour. Mais nous ne cherchons pas à maximiser les bénéfices à ces fins.
Andrew Dooner : Voilà une perspective très éclairante! Avant de conclure l’épisode, Christine, je voulais vous demander, avez-vous des messages ou des conseils pour nos auditeurs, que ce soit sur la façon d’être une organisation investie d’une mission, de réfléchir à notre rôle dans la société ou d’aborder certains des sujets que nous avons abordés, comme l’équilibre entre le court terme et le long terme?
Christine Bergeron : Mon conseil serait le suivant : si vous voulez vraiment avoir le plus grand impact possible sur votre collectivité, pensez aux leviers que vous avez en tant qu’organisation. Si je me fie à mon expérience, en faisant cela, vous recentrerez votre attention, vous commencerez à affecter vos ressources différemment et, ultimement, vous penserez aux impacts à long terme que vous pouvez avoir en tant qu’organisation. Et encore une fois, selon mon expérience et de mon point de vue, cela se traduit presque toujours par de meilleurs résultats à long terme. Voilà donc mon conseil.
Andrew Dooner : Christine, je vous remercie vraiment d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Merci pour cette discussion inspirante, et d’avoir présenté vos perspectives sur le fait d’être une organisation investie d’une mission, sur la façon de naviguer dans un environnement économique et social de plus en plus complexe, et sur la manière dont vous et votre équipe abordez certains de vos grands défis quotidiens et vous efforcez de trouver l’équilibre entre le court et le long terme. Merci encore de votre participation.
Christine Bergeron : Merci de m’avoir accueillie!