14 septembre, 2023
Auteures :
Liz Warner, directrice principale, Lutte contre la criminalité financière, PwC Canada
Pallavi Nautiyal, directrice, Lutte contre la criminalité financière, PwC Canada
L’adoption récente, en 2023, de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (loi sur l’esclavage moderne) a entraîné d’importantes obligations d’information pour un large éventail d’entreprises et d’importateurs canadiens, ainsi que pour des entités gouvernementales. Dans cette foulée, les acteurs du secteur financier se demandent peut-être ce que les institutions financières peuvent faire pour aider à détecter et à prévenir la traite des personnes et l’esclavage moderne.
La traite des personnes consiste à recruter ou à enlever des victimes par la tromperie ou la force (p. ex., kidnappings, faux mariages, offres d’emploi) et à héberger ou transporter celles-ci là où elles seront exploitées ou vendues à d’autres trafiquants. L’esclavage moderne comprend l’exploitation des victimes à des fins de servitude pour dettes, d’exploitation sexuelle, de commerce d’organes ou de travail forcé. Celles-ci peuvent être manipulées par la force, en retenant leurs pièces d’identité, en prenant des dispositions illégales pour « rembourser » les frais de recrutement ou en utilisant d’autres formes de coercition.
Les infractions sous-jacentes au blanchiment d’argent, comme le trafic de drogue ou la fraude, sont les crimes graves qui nous viennent généralement en tête au Canada. Cela dit, d’autres actes criminels sérieux se produisent à l’échelle du pays, comme la traite des personnes et l’esclavage moderne. Ceux-ci peuvent être détectés au moyen de contrôles et de systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent (LBA) et de financement des activités terroristes (FAT) que les institutions financières ont déjà mis en place.
Il y a plusieurs années, un partenariat public-privé entre le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et les banques canadiennes a été établi pour détecter la traite des personnes en se concentrant sur le blanchiment d’argent associé à cette activité criminelle. Cette initiative a permis de cibler plusieurs indicateurs afin d’améliorer la capacité de détection des services financiers canadiens en la matière. Moins de deux ans après le lancement de ce partenariat, 270 divulgations concernant 534 personnes ont été émises, dont 90 % étaient auparavant inconnues des forces de l’ordre. La forme la plus courante de traite des personnes réside dans le travail forcé lié au travail du sexe ou à l’abus sexuel1.
Pour repérer les cas de traite des personnes, il importe que, pendant les processus de surveillance des transactions et d’enquête, les enquêteurs LBA des institutions financières ne vérifient pas uniquement le blanchiment d’argent et le FAT, mais qu’ils ciblent aussi les activités de traite des personnes. Les notes d’enquête et les rapports internes et réglementaires doivent mettre en évidence les liens potentiels suspectés et les préoccupations liées à de telles activités.
Bien que nombre des victimes connues de la traite des personnes soient des femmes de moins de 25 ans,2 ces activités touchent tous les genres, toutes les nationalités et tous les âges. Une étude menée par l’Université des Nations Unies a révélé que les personnes de certains pays (p. ex. le Nigéria et les Philippines) et de certains secteurs (p. ex. les services personnels) sont particulièrement vulnérables à la traite des personnes et à l’esclavage moderne.3 Une combinaison de certains de ces facteurs peut être utilisée par les organisations pour cibler des clients présentant un risque élevé de traite des personnes, puis les soumettre à une surveillance accrue.
Transactions aux guichets automatiques de plusieurs villes du pays;
Transfert d’un tiers à une personne;
Plusieurs adresses de courriel, numéros de téléphone et/ou adresses physiques;
Adresse de courriel trouvée sur les sites web de services d’escorte;
Dépôts d’argent comptant dans des villes où le client ne réside pas ou n’exerce pas d’activités;
Paiements fréquents pour des services d’escorte en ligne, du contenu pour adultes, des services publicitaires, des petites annonces en ligne ou des entreprises d’hébergement de sites web;
Fréquents envois ou réceptions de fonds sous forme de cryptomonnaies;
Achats de produits et services associés à des modes de vie somptueux;
Achats fréquents avec des cartes prépayées, et utilisation régulière de celles-ci;
Paiements de pair-à-pair suivis d’un retrait ou d’un transfert;
Retraits fréquents d’espèces dans des guichets automatiques n’appartenant pas à une institution financière;
Annulations fréquentes de transactions;
Transactions se déroulant souvent en dehors des heures normales d’ouverture;
Location de voiture dans la ville de résidence;
Dépenses fréquentes de faible valeur ou anormalement élevées dans des restaurants à service rapide;
Plusieurs factures de téléphone cellulaire et d’internet sur le même compte;
Paiement de loyer, de taxes foncières et de factures de services publics à des endroits différents au cours du même mois;
Propriétaire, exploitant ou employé d’un spa, d’un salon de massage, d’un club de danseuses, d’un motel, de biens immobiliers en location et/ou d’une entreprise de gestion immobilière;
Hommes de 24 à 36 ans ou femmes de 27 à 32 ans, généralement associées à un homme impliqué.
Maintenant que nous connaissons les indicateurs et les caractéristiques des clients pouvant être considérés comme présentant un risque élevé de traite des personnes, comment pouvons-nous chercher ces renseignements dans les milliards de transactions, de comptes et de dossiers de clients qui se trouvent dans les bases de données des institutions financières canadiennes?
Tenter d’identifier des activités de traite des personnes à partir des données et de l’analytique pose des défis évidents. Il peut notamment y avoir de nombreuses similitudes entre une transaction indiquant une telle activité et une opération légale. Par exemple, une personne peut retirer régulièrement de l’argent d’un guichet automatique tard dans la nuit pour des raisons légitimes. Toutes les activités doivent être considérées dans leur contexte et en complément d’autres indicateurs de transaction ou de profil de client pour déterminer si elles sont effectivement suspectes.
L’utilisation de l’apprentissage machine et de l’intelligence artificielle (IA) pour détecter les tendances de comportement que les modèles prédictifs traditionnels et l’analytique n’auraient pas pu identifier auparavant s’avère un moyen de déceler les combinaisons complexes d’activités permettant de soupçonner la traite des personnes. D’autant plus que la précision de ces modèles s’améliore automatiquement au fil du temps. L’apprentissage machine peut être utilisé pour segmenter les clients et détecter les habitudes de dépenses atypiques par rapport à des groupes de pairs. Ces renseignements peuvent ensuite être superposés à d’autres indicateurs de traite des personnes, comme l’endroit et le moment où les transactions ont lieu, les caractéristiques particulières du client (comme son âge et sa profession) et les liens avec des sources de données externes, comme les sites web de services d’escorte, afin de peaufiner davantage le modèle.
Les algorithmes graphiques et les bases de données sont également de puissants outils pour détecter les relations cachées entre les caractéristiques personnelles partagées, les chaînes de paiement complexes, la concentration du risque-pays, les comptes qui canalisent de nombreuses transactions et les mouvements rapides de fonds. Ceux-ci peuvent être particulièrement utiles pour réunir des données disparates afin de cerner des relations non détectées auparavant.
Chez PwC Canada, nous aidons nos clients à donner confiance au public en repérant, en surveillant et en évaluant les risques liés à la traite des personnes et à l’esclavage moderne, ainsi qu’en faisant rapport sur le sujet. Nous les épaulons pour développer, mettre au point et mettre en œuvre des modèles d’analytique et d’apprentissage machine, et pour repenser la façon dont ils envisagent la criminalité financière. Pour ce faire, nous leur proposons des moyens plus intelligents et plus efficaces d’assurer leur conformité tout en réalisant des activités qui ont du sens et de l’impact.
Toutes les entreprises ont un rôle à jouer dans la prévention de la traite des personnes et de l’esclavage moderne. Aux obligations de la nouvelle loi canadienne, qui s’appliquent à plusieurs organisations, s’ajoutent les risques pour la réputation et les considérations éthiques qui s’avèrent tout aussi importants pour de nombreuses autres.
Les institutions financières jouent un rôle crucial dans la détection et la prévention de ces crimes. Nous travaillons donc avec nos clients du secteur des services financiers pour améliorer et adapter leurs processus et systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent afin d’y intégrer les signaux d’alerte et les indicateurs liés à la traite des personnes.
Pour d’autres types d’entreprises, il sera essentiel de comprendre l’esclavage moderne, de repérer les risques dans la chaîne d’approvisionnement et de mettre en œuvre des politiques, des processus et des contrôles pour détecter et éviter le travail forcé afin de se conformer à la nouvelle loi canadienne.
Chez PwC Canada, bâtir la confiance, là où elle compte le plus, est au cœur de nos valeurs et de notre mission. Si vous souhaitez en apprendre davantage sur la façon de prévenir la traite des personnes et l’esclavage moderne, notre communauté de professionnels de la résolution de problèmes sera ravie de discuter avec vous.
1. Projet PROTECT : Renouvellement de la fonction publique en action, Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), consulté le 30 août 2023, https://fintrac-canafe.canada.ca/emplo/project-projet/psr-eng.pdf.
2. Indicateurs actualisés : Recyclage de produits provenant de la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle, CANAFE, juillet 2021, https://fintrac-canafe.canada.ca/intel/operation/oai-hts-2021-eng.
3. Detecting Financial Flows of Modern Slavery and Human Trafficking: A Guide to Automated Transaction Monitoring, Dr. Frank Haberstroh et Simon Zaugg, United Nations University: Centre for Policy Research, mai 2023, http://collections.unu.edu/eserv/UNU:9113/Indicators_Guide_Final.pdf.
4. FATF Report: Financial Flows from Human Trafficking, FATF – APG, juillet 2018, https://www.fatf-gafi.org/content/dam/fatf-gafi/reports/Human-Trafficking-2018.pdf.
Liz Warner
Directrice principale, Cybersécurité, protection des renseignements personnels et lutte contre la criminalité financière, PwC Canada
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Directrice, Lutte contre la criminalité financière, PwC Canada
Tél. : +1 647 444 3259
Associé, leader national, Lutte contre la criminalité financière, PwC Canada
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