Point de vue fiscal : Le Canada publie la Loi sur l’impôt minimum mondial

21 juin, 2024

Numéro 2023-22FR

Mise à jour du 21 juin 2024 : Le 20 juin 2024, le projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024, a reçu la sanction royale. Le projet de loi C-69 inclut les mesures législatives portant exécution du régime d’impôt minimum mondial du « Pilier Deux » au Canada. Ces mesures avaient été publiées précédemment sous forme d’un avant-projet de loi le 4 août 2023 (il en est question dans notre Point de vue fiscal du 15 août 2023, ci-dessous).

Les principaux changements apportés au projet de loi C-69 (par rapport à l’avant-projet de loi du 4 août 2023) relativement à l’impôt minimum mondial incluent :

  • l’introduction de règles sur les accords d’arbitrage hybride, qui peuvent refuser des déductions aux fins de l’application du régime de protection de déclaration pays par pays transitoire;
  • l’ajout de règles relatives au traitement des crédits d’impôt transférables commercialisables;
  • la mise à jour de certaines définitions dans la Loi de l’impôt minimum mondial afin de les rapprocher des règles types de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)*.

Maintenant que le projet de loi C-69 a été adopté, le régime d’impôt minimum mondial s’appliquera au Canada en ce qui a trait à la règle d’inclusion du revenu et à l’impôt complémentaire minimum national, pour les années d’imposition des groupes de multinationales qui débutent après le 30 décembre 2023 (c.-à-d. 2024 et les années suivantes pour les contribuables dont l’exercice correspond à l’année civile).

Le reste de ce Point de vue fiscal a été publié le 15 août 2023. Il n’a pas été modifié par suite de l’adoption du projet de loi C-69.

 

* Pour en savoir plus sur les règles types du Pilier Deux, lisez nos bulletins Tax Policy Alert à www.pwc.com/gx/en/services/tax/publications/tax-policy-bulletin.html :

- « OECD releases Pillar Two GloBE Consolidated Commentary & Examples » – pour un recueil des commentaires publiés par l’OCDE le 25 avril 2024 qui contient toutes les directives administratives qui ont été publiées par le Cadre inclusif de mars 2022 à décembre 2023

- « OECD releases guidance relating to Pillar Two GloBE and Pillar One Amount B » – pour les nouveaux commentaires publiés par l’OCDE le 17 juin 2024 (Il est possible que les dispositions législatives du projet de loi C-69 ne rendent pas compte de certains aspects des directives administratives récemment publiées.)

En bref

Le 4 août 2023, le Canada a publié un avant-projet de loi visant l’instauration du régime d’impôt minimum mondial du « Pilier Deux » développé par le Cadre inclusif de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20 sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. De façon générale, ce régime s’appliquera aux groupes de multinationales (groupes d’EMN) dont le revenu consolidé est d’au moins 750 millions d’euros. Ces groupes d’EMN seront tenus de calculer leur taux effectif d’imposition (TEI) dans chacun des pays où ils ont une filiale ou un établissement stable. Si le TEI d’un pays donné est inférieur à 15 %, un impôt complémentaire sera perçu pour amener ce TEI à 15 % (cet impôt complémentaire pourrait être abaissé par une exclusion de revenus fondée sur la substance, dont le calcul tient compte des coûts salariaux et de la valeur comptable nette des actifs corporels situés dans la juridiction). Le calcul du TEI est généralement basé sur l’information fournie dans les états financiers, mais il inclut plusieurs ajustements.

L’OCDE a publié des règles types relatives à l’application du Pilier Deux, de même que des commentaires et des directives administratives à leur sujet (les commentaires de l’OCDE). Chaque pays participant doit adopter une législation fiscale nationale basée sur les règles types pour que le Pilier Deux ait force de loi dans ce pays.

Le Canada a publié ses propositions législatives de mise en œuvre du Pilier Deux sous la forme d’une nouvelle loi, la Loi de l’impôt minimum mondial (LIMM). La LIMM va généralement dans le sens des règles types et des commentaires de l’OCDE. Par souci de cohérence, une disposition de la LIMM indique que cet avant-projet de loi doit être interprété de concert avec les règles types et les commentaires de l’OCDE de même qu’avec toute directive qu’elle publiera ultérieurement. Cependant, sous plusieurs aspects, la LIMM diffère des règles types de par sa structure et sa formulation. C’est pourquoi on doit examiner attentivement les propositions législatives pour confirmer comment la LIMM s’appliquera aux groupes d’EMN.

Une consultation publique sur l’avant-projet de loi se déroulera jusqu’au 29 septembre 2023.

En détail

Contexte

Conformément aux règles types de l’OCDE, le nouvel impôt complémentaire sera perçu en vertu de l’une des trois règles de taxation suivantes :

  • La règle d’inclusion du revenu (RIR) exige généralement que l’entité mère ultime (EMU) du groupe d’EMN paie l’impôt complémentaire calculé pour ses filiales étrangères (et peut aussi s’appliquer à d’autres types d’« entités mères pertinentes » dans certaines circonstances).
  • La règle relative aux profits insuffisamment imposés (RPII) est une règle résiduelle et perçoit un impôt complémentaire qui ne serait autrement pas perçu en vertu d’autres règles. Cet impôt complémentaire résiduel est réparti entre tous les pays dans lesquels le groupe d’EMN exerce ses activités (et qui ont adopté la RPII) et son calcul tient compte des employés du groupe et de ses actifs corporels dans ces pays.
  • Un pays peut aussi décider d’adopter un impôt complémentaire minimum national admissible (ICMNA), qui perçoit un impôt supplémentaire sur le revenu d’entités situées dans ce pays (plutôt que de permettre à des pays étrangers de le percevoir en vertu de la RIR ou de la RPII).

La LIMM inclut une RIR et un impôt complémentaire minimum national (ICMN), qui s’appliqueront aux entités canadiennes de groupes d’EMN qui relèvent de la portée du Pilier Deux. La RIR s’applique généralement à une entité canadienne qui est l’EMU (ou une autre entité mère pertinente) d’un groupe d’EMN admissible lorsque le TEI du groupe dans une juridiction étrangère est inférieur à 15 %. L’ICMN s’applique généralement aux entités canadiennes d’un groupe d’EMN admissible lorsque le TEI canadien du groupe est inférieur à 15 %. Dans les cas où l’entité canadienne assujettie à une RIR ou à un ICMN est une société de personnes, l’impôt complémentaire calculé pour la société de personnes est généralement payé par les associés, proportionnellement à la part du revenu de la société de personnes qui leur revient.

L’avant-projet de loi reste ouvert à la possibilité d’une RPII, mais ne contient aucune mesure législative à cet effet. Selon le budget fédéral déposé le 28 mars 2023, le Canada entend publier des propositions législatives relatives à une RPII ultérieurement. La RIR et l’ICMN s’appliqueront aux années d’imposition d’un groupe d’EMN admissible qui commencent après le 30 décembre 2023 (c.‑à‑d. 2024 et années suivantes pour les contribuables dont l’exercice correspond à l’année civile), tandis que la RPII devrait s’appliquer aux années d’imposition d’un groupe d’EMN admissible qui commencent après le 30 décembre 2024 (c.‑à‑d. 2025 et années suivantes pour les contribuables dont l’exercice correspond à l’année civile). Ces paramètres cadrent avec l’échéancier adopté par la plupart des pays participants.

Fait à noter, l’avant-projet de loi publié le 4 août n’inclut aucune modification substantielle d’autres lois fiscales canadiennes au regard de leur interaction avec la LIMM, comme :

  • des modifications substantielles des règles fiscales internationales existantes du Canada (p. ex. les règles sur le revenu étranger accumulé, tiré de biens et le calcul de l’excédent des sociétés étrangères affiliées) relativement aux impôts du Pilier Deux;
  • la répartition d’impôts complémentaires entre les gouvernements fédéral et provinciaux;
  • des directives quant aux incitatifs fiscaux canadiens qui constitueront des crédits d’impôt remboursables admissibles en vertu des règles du Pilier Deux (ou la possibilité que des incitatifs fiscaux soient modifiés en conséquence du Pilier Deux).

Tout porte à croire que des propositions législatives portant sur l’incidence du Pilier Deux sur les règles fiscales existantes seront publiées au cours des prochains mois. Cependant, une disposition de la LIMM stipule que la règle générale anti-évitement (RGAE) dans l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquera à des montants déterminés par la LIMM (sous réserve de modifications rendues nécessaires par les circonstances).

Régimes de protection

Les directives de l’OCDE incluent certains régimes de protection, qui prévoient des exonérations temporaires et permanentes des règles du Pilier Deux. De façon générale, ces régimes de protection sont reproduits dans la LIMM.

Régime de protection de déclaration pays par pays (DPP) transitoire

La LIMM inclut un régime de protection de DPP transitoire, qui cadre avec les règles en matière de régimes de protection[1] énoncées dans le rapport du Cadre inclusif publié par l’OCDE le 20 décembre 2022. Ce régime de protection s’applique à un groupe d’EMN pour une juridiction donnée si le groupe fait un choix et satisfait un des trois critères ci-dessous pour cette juridiction :

  • Critère de la règle du seuil – Le groupe d’EMN doit avoir moins de 10 millions d’euros de revenus et 1 million d’euros de bénéfices avant impôts pour la juridiction.
  • Critère du TEI – Le TEI du groupe d’EMN pour la juridiction doit être, si l’année d’imposition visée commence :
    • avant le 1er janvier 2025, au moins 15 %;
    • en 2025, au moins 16 %; ou
    • après le 31 décembre 2025, au moins 17 %.
  • Critère de bénéfices courants – Les bénéfices avant impôts du groupe d’EMN pour la juridiction ne peuvent pas être supérieurs à son exclusion de revenus fondée sur la substance pour la juridiction.

Ces critères sont généralement basés sur les données de DPP admissibles, et non sur la totalité des calculs en vertu du Pilier Deux. Si un groupe d’EMN est admissible au régime de protection dans une juridiction, l’impôt complémentaire pour la juridiction est réputé être nul et les exigences de divulgation seront moindres. Le régime de protection transitoire sera disponible pour les années d’imposition débutant avant le 1er janvier 2027 et se terminant avant le 1er juillet 2028 (c.‑à‑d. de 2024 à 2027 pour les contribuables qui suivent l’année civile).

Régime de protection permanente de l’ICMNA

La LIMM inclut également un régime de protection permanente de l’ICMNA, qui est en phase avec le régime de protection de l’ICMNA[2] présenté dans les directives administratives de l’OCDE publiées le 17 juillet 2023. Ce régime de protection s’applique généralement à un groupe d’EMN qui fait un choix pour une juridiction donnée, si cette juridiction a un ICMN qui est jugé acceptable par le Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 (c.-à-d. qu’un ICMN qui va dans le sens des règles types et des commentaires de l’OCDE est appliqué suivant une norme comptable acceptable et administré d’une manière acceptable). Lorsque le régime de protection de l’ICMNA s’applique à un groupe d’EMN pour une juridiction, l’impôt complémentaire pour les entités du groupe dans cette juridiction est réputé être nul. Le régime de protection de l’ICMNA, le cas échéant, élimine pour un groupe d’EMN la nécessité de procéder à un second calcul de l’impôt complémentaire au titre des règles du Pilier Deux.

Impôt complémentaire minimum national

L’ICMN est conçu pour obtenir le statut d’un ICMNA tel que déterminé par le Cadre inclusif. L’ICMN s’applique généralement aux entités canadiennes d’un groupe d’EMN qui relève de la portée du Pilier Deux lorsque le TEI canadien du groupe est inférieur à 15 % (autrement dit, l’ICMN est calculé pour la juridiction et non individuellement pour chaque entité). Contrairement aux impôts minimums nationaux qu’ont introduits certains pays d’Europe, l’ICMN ne s’applique pas aux groupes qui n’incluent pas de multinationales (c.‑à.‑d. qui sont entièrement canadiens). Il est prévu que l’ICMN soit admissible au régime de protection de l’ICMNA (pour que les membres canadiens de groupes d’EMN soient exonérés des RIR et des RPII de pays étrangers), et on doit l’interpréter de concert avec les exigences stipulées dans les directives de l’OCDE.

L’ICMN inclut une exonération pour les groupes d’EMN dont les activités internationales en sont à leurs débuts. Cette exonération est disponible pendant au plus cinq ans, pour un groupe d’EMN qui :

  • est établi dans un maximum de six juridictions; et
  • ne détient pas d’actifs corporels dont la valeur comptable nette dépasse 50 millions d’euros à l’extérieur de sa plus grande juridiction.

Cependant, cette exonération n’est pas applicable lorsqu’une entité mère pertinente du groupe d’EMN est directement ou indirectement propriétaire d’entités canadiennes du groupe et est assujettie à une RIR admissible dans une juridiction étrangère (en d’autres termes, cette exonération n’est pas disponible lorsque l’impôt complémentaire des entités canadiennes serait autrement perçu en vertu d’une RIR étrangère).

Application et exécution

La LIMM inclut des règles d’application et d’exécution détaillées, notamment des exigences de tenue de registres et de déclaration. Ces règles sont semblables aux dispositions d’application et d’exécution contenues dans la Loi de l’impôt sur le revenu, mais elles vont plus loin à certains égards.

Obligations en matière de déclaration

L’OCDE a développé la Déclaration d’information GloBE (DRG) normalisée.[3] L’EMU d’un groupe d’EMN (ou une autre entité déclarante désignée choisie par le groupe) peut généralement produire cette déclaration au nom du groupe. Il n’est pas nécessaire que la DRG soit produite au Canada si l’EMU (ou l’entité déclarante désignée) soumet le formulaire dans la juridiction étrangère où elle est située et que cette juridiction a un accord admissible entre autorités compétentes avec le Canada (qui prévoit l’échange automatique de ces déclarations), bien qu’on doive en aviser le Canada dans ces circonstances. Dans d’autres cas, la déclaration doit être produite au Canada (p. ex. si l’EMU ou l’entité déclarante désignée est située au Canada ou si aucun accord admissible entre autorités compétentes n’a été conclu avec la juridiction étrangère visée). La déclaration doit être produite au plus tard 15 mois après la fin de l’année d’imposition visée (ou dans un délai de 18 mois pour la première année pour laquelle le groupe d’EMN est assujetti à la LIMM). En outre, une entité qui est tenue de payer des impôts au Canada en vertu de la RIR ou de l’ICMN doit produire une déclaration distincte à la même date que la DRG.

Une entité doit tenir des registres adéquats pour déterminer sa conformité à la LIMM pendant une période de huit ans. Le gouvernement canadien se réserve le droit de spécifier le format qu’un registre doit prendre et tout renseignement qu’il doit contenir.

Pénalités

Des pénalités appréciables peuvent être imposées si un groupe d’EMN ne respecte pas ses obligations en vertu de la LIMM. Cependant, un allègement transitoire de la pénalité est possible dans certaines circonstances.

Non-conformité

Pénalités

Défaut de produire :

  • une DRG
  • de l’avis du ministère, une DRG complète ou quasi complète
  • un avis lorsque la DRG est produite par une entité étrangère admissible

25 000 $

x le nombre de mois complets, jusqu’à concurrence de 40, à partir de la date d’exigibilité de la DRG jusqu’au jour auquel la DRG est produite ou que l’avis est donné 

Défaut de produire une déclaration conforme à la RIR ou à l’ICMN

5 % de l’impôt exigible impayé à la date où la déclaration doit avoir été produite

+ (1 % de l’impôt exigible impayé à la date où la déclaration doit avoir été produite x le nombre de mois complets, jusqu’à concurrence de 12, à partir du jour où la déclaration devait avoir été produite jusqu’au jour où elle l’a été) 

Des pénalités supplémentaires peuvent être imposées pour défaut répété de produire la déclaration, faux énoncés ou omissions, et défaut de fournir les renseignements requis. Qui plus est, lorsqu’on interjette appel de la cotisation à la Cour canadienne de l’impôt et que celle‑ci détermine qu’il n’y avait pas de fondements raisonnables à l’appel, on est passible d’une pénalité pouvant atteindre 10 % de la somme en litige.

À retenir

Bien que la LIMM soit généralement en phase avec les règles types du Pilier Deux, on doit examiner attentivement les propositions législatives pour évaluer leur application à des entités canadiennes de groupes d’EMN visés. L’avant-projet de loi confirme que la RIR canadienne et l’ICMN s’appliqueront aux années d’imposition de groupes d’EMN qui débutent après le 30 décembre 2023. Étant donné que cette date de mise en œuvre arrive à grands pas, les groupes d’EMN devraient prendre dès maintenant des mesures pour analyser les effets potentiels de la LIMM et pour vérifier si leurs données, systèmes, technologies et processus actuels seront en mesure de satisfaire les exigences de la nouvelle loi.

Les parties intéressées ont jusqu’au 29 septembre 2023 pour présenter un mémoire au ministère des Finances.

 

1. Pour en savoir plus, voir notre Tax Policy Alert « OECD releases Pillar Two guidance on Safe Harbours and Penalty Relief ».
2. Pour en savoir plus, lisez notre Tax Policy Alert « OECD releases Pillar Two GloBE Rules Administrative Guidance and GloBE Information Return ».
3. Pour en savoir plus, lisez le projet du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices « Tax Challenges Arising from the Digitalisation of the Economy – GloBE Information Return (Pillar Two) ».

Contactez-nous

Éric  Labelle, LL.L.

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Associé, Fiscalité internationale, PwC Canada

Simon Lamarche

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