Voici une affirmation qui ne manquera pas de vous surprendre : les émissions mondiales et américaines ont diminué plus rapidement au cours du premier mandat de Trump que durant la présidence Biden1. Plusieurs facteurs mondiaux expliquent cet état de fait, dont la réduction des émissions durant la pandémie de COVID-19 et la hausse d’émissions attribuable aux feux de forêt records qui ont fait rage ces deux dernières années.
Il serait tentant – quoiqu’erroné – d’en conclure que l’élection présidentielle américaine n’aura pas d’incidence notable sur la transition vers la carboneutralité. De même, il serait exagéré de présumer que les changements climatiques disparaîtront de l’ordre du jour mondial durant le second mandat de Trump. Pour les entreprises et les institutions financières canadiennes, composer avec les questions de changements climatiques et de durabilité sous la deuxième administration Trump pourrait nécessiter une évaluation plus nuancée des impacts potentiels.
En bref, on s’attend à ce que durant le second mandat de Trump, les émissions mondiales atteignent un niveau beaucoup plus élevé que celui qui était prévu après le maintien des politiques de Biden ou l’élection de Harris. Cela s’explique notamment par l’intention manifeste du président Trump d’abroger l’Inflation Reduction Act (IRA) ou d’assouplir la réglementation environnementale. Bien que les investissements réalisés par l’administration Biden, comme les projets d’énergie renouvelable soutenus par l’IRA, devraient contribuer à la poursuite de la baisse générale des émissions américaines, le rythme de cette baisse est appelé à ralentir. En outre, le retrait des États-Unis de leur position de chef de file des efforts mondiaux de lutte contre les changements climatiques – voire la fin de leur participation à ces efforts – est susceptible de freiner la diminution des émissions à l’échelle mondiale. Les entreprises et les investisseurs du Canada doivent donc tenir compte des deux changements majeurs suivants :
Un ralentissement de la transition vers la carboneutralité entraînera vraisemblablement un accroissement de l’intensité, de la fréquence et de la gravité des événements météorologiques extrêmes induits par les changements climatiques d’ici 2030. Ce relâchement des efforts pourrait également pousser la planète au-delà du point de basculement environnemental, ce qui aggraverait les impacts physiques des changements climatiques. Ces impacts se répercuteraient sur les activités des entreprises de notre côté de la frontière, mais également sur les chaînes d’approvisionnement et l’investissement à l’étranger. Malheureusement, il est fort probable que les impacts physiques des changements climatiques s’aggravent à long terme. C’est pourquoi les conseils d’administration, les compagnies d’assurance, les régimes de retraite et les autres investisseurs à long terme doivent en faire la priorité. À court terme, les entreprises canadiennes pourraient être touchées par des modifications de leurs couvertures d’assurance et un resserrement des contrôles diligents liés aux risques physiques dans le cadre des transactions.
Bon nombre d’entreprises et d’investisseurs étudient divers scénarios futurs dans le cadre de leur planification des changements climatiques. Parmi ces scénarios, il y a celui de la carboneutralité, où les investissements dans les énergies renouvelables et les véhicules électriques s’accélèrent, et celui du statu quo, où la transition vers une économie à faibles émissions se fait plus lentement. Mais entre les deux, il existe un autre scénario, que nous appellerons le scénario du freinage brutal. Dans cette projection, les émissions augmentent à court terme, ce qui déclenche des impacts physiques extrêmes, lesquels poussent les gouvernements et la société civile à opérer un virage brutal vers la carboneutralité. Ce scénario serait le pire pour de nombreux investisseurs. Ces derniers se retrouveraient avec des actifs irrécupérables; une offre insuffisante et une hausse du coût des minéraux critiques et d’autres intrants servant à la production de biens à faible émission; d’importantes modifications des politiques; une augmentation probable de la dette publique; et d’autres impacts inhérents à une transition brusque.
L’un des changements les plus probables auxquels il faut s’attendre au chapitre des politiques climatiques de la nouvelle administration Trump est l’annulation du projet de règles de la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine en matière d’information relative aux changements climatiques2,3. Ces règles auraient obligé les sociétés canadiennes à double cotation à publier de l’information sur leurs émissions et leur stratégie climatique. Si beaucoup de dirigeants d’entreprise pousseront un soupir de soulagement (les règles envisagées faisaient 885 pages!), ce changement ne les libérera que brièvement de leurs obligations d’information :
Plusieurs États, au premier chef la Californie, ont mis en place ou élaborent des obligations d’information liée aux changements climatiques. Nous ignorons comment les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières réagiront au retrait quasi assuré des règles de la SEC. La mise en œuvre au Canada des projets de normes d’information sur la durabilité pourrait toutefois être retardée – voire reportée indéfiniment. Dans l’ensemble, certaines entreprises canadiennes pourraient avoir plus de temps pour se conformer aux exigences. Or, le train est déjà en marche. Que ce soit dans les États américains, en Europe, en Australie, à Hong Kong ou ici même au Canada (par l’intermédiaire du Bureau du surintendant des institutions financières), bon nombre d’organismes de réglementation ont adopté leurs propres règles d’information. Les entreprises canadiennes doivent profiter du sursis que leur procure le changement des plans de la SEC pour se préparer aux éventuelles obligations d’information en matière de changements climatiques.
L’un des plus grands défis auxquels sont confrontées les entreprises canadiennes qui ont des activités aux États-Unis est la fragmentation à venir entre le gouvernement fédéral américain et les gouvernements des paliers étatiques et municipaux. Par exemple, un fournisseur canadien répondant à un appel d’offres de l’État de la Californie pourrait être obligé de fournir de l’information en matière d’écologie, notamment ses cibles de carboneutralité. Or, le respect de ces obligations pourrait entraîner son rejet des appels d’offres du gouvernement fédéral américain. Les entreprises canadiennes devront faire preuve de doigté pour composer avec le contexte politique fragmenté à l’intérieur des États-Unis, entre les États-Unis et le Canada, et entre les États-Unis et d’autres territoires, comme l’Europe. Elles seront tentées par l’« écomutisme », soit le comportement d’une organisation qui maintient ses efforts de lutte contre les changements climatiques sans en faire ouvertement la promotion.
L’impact de la nouvelle présidence sur la psychologie organisationnelle en matière de changements climatiques est un aspect important qui est souvent négligé. Les questions suivantes pourraient être soulevées : Quelles sont les approches de motivation et de rémunération des leaders en climat et en durabilité? Les climatosceptiques gagneront-ils en confiance dans la prise de décisions et la culture d’entreprise? Les changements climatiques seront-ils relégués au dernier rang des priorités des décideurs? Quel sera l’effet de l’écomutisme sur le recrutement et la fidélisation des employés?
Le climat continue de changer. Et ce changement est susceptible de s’accélérer dans le sillage de l’élection américaine. Pour les entreprises, l’urgence ne s’en fait que plus pressante. Elles doivent s’adapter et se préparer à d’autres perturbations de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement causées par les phénomènes météorologiques violents dont elles sont déjà témoins.
Les entreprises doivent trouver un équilibre entre l’impact de la nouvelle administration, qui est un obstacle bien réel à l’action climatique, et la nécessité de continuer de se focaliser sur le climat dans leurs fonctions prioritaires, notamment la gestion du risque d’entreprise, l’approvisionnement, l’assurance, la planification des immobilisations, les relations avec les investisseurs et les transactions. Les équipes de direction et les conseils d’administration seraient bien avisés d’évaluer l’influence que l’entrée en scène de la nouvelle administration américaine exercera sur leur approche de la gestion des risques et des opportunités liés au climat. Pour ce faire, ils doivent se concentrer sur les mesures suivantes :
Compte tenu du ralentissement à prévoir de la décarbonisation de l’économie globale, il sera plus difficile pour les entreprises d’atteindre leurs cibles de réduction des émissions de portée 2 et des émissions de certaines catégories de la portée 3 (achats de biens et services ou émissions financées), que ce qu’elles pensaient il y a trois à cinq ans. Parallèlement, les entreprises sont soumises à des exigences réglementaires accrues en ce qui concerne la publication d’informations sur leurs cibles, dont la communication était auparavant facultative. Étant donné que l’économie et la réglementation subissent d’importants changements, les entreprises doivent revoir leurs cibles et leurs engagements pour s’assurer qu’ils cadrent avec la stratégie d’entreprise, l’affectation du capital et la gestion des risques.
Nous avons mené des recherches sur les menaces que posent les vagues de chaleur et les sécheresses induites par les changements climatiques sur la production de produits de base essentiels à l’échelle planétaire. À mesure que les perturbations climatiques s’intensifient, il est essentiel que les entreprises repèrent ces risques dans leurs chaînes d’approvisionnement et élaborent des stratégies d’adaptation. Les solutions susceptibles d’en résulter sont l’investissement dans de nouvelles technologies ou la réduction de la dépendance aux produits de base touchés.
Après son entrée en fonction, le président Trump pourrait recourir à des décrets pour mettre en œuvre son programme4. Grâce à l’analyse de scénarios, les entreprises peuvent évaluer les impacts que ces décrets et la réglementation pourraient avoir sur leurs activités. Elles peuvent également réévaluer leurs principes climatiques – notamment leur engagement à atteindre la carboneutralité à long terme – afin de consolider leurs stratégies relatives au climat dans un environnement réglementaire et économique qui évolue rapidement.
1 “Greenhouse Gas Emissions from Energy Data Explorer,” International Energy Agency, dernière mise à jour le 2 août 2024.
2 Andrew Ramonas and David Hood, “SEC Poised for Slow Regulatory Unraveling Under Trump: Explained,” Bloomberg Law, 7 novembre 2024.
3 “Our Take: PwC’s Financial Services Update,” PwC US, 15 novembre 2024.
4 Peter Nicholas, Matt Dixon and Carol E. Lee, “'Like nothing you've seen': Trump team readies a flurry of executive actions for Day 1”, NBC News, 21 novembre 2024.
Associée et leader nationale, Rapports et certification ESG, PwC Canada
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